Le projet de loi actuellement soumis à l’avis du Conseil d’État vise à instaurer un traitement spécifique d’une catégorie de personnes, en l’espèce les locataires d’un local d’habitation, en les favorisant par rapport à une autre catégorie de personnes, qui sont ici les propriétaires. Ce faisant, il touche à plusieurs droits spécialement protégés soit par des dispositions de droit international inscrites notamment dans la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (article 1er du Protocole additionnel n° 1, droit à la propriété), soit par la Constitution (article 10bis, égalité devant la loi, article 16, droit à la propriété). Si ces droits ne sont pas absolus, ainsi que le Conseil d’État l’a rappelé à propos de législations limitant le montant des loyers qu’un bailleur peut exiger, la loi doit toutefois assurer le juste équilibre, non seulement entre l’intérêt général et les intérêts privés, mais également entre les intérêts privés concernés par la législation en projet.
Le Conseil d’État rappelle que la loi modifiée du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation instaure en son chapitre IV, intitulé « De la protection des personnes condamnées à déguerpir de leur logement », aux articles 16 à 18, un régime protecteur desdites personnes, qu’elles soient locataires ou même occupants sans droit ni titre, leur permettant de bénéficier d’un sursis à l’exécution d’une décision judiciaire de déguerpissement pendant une durée maximale de trois mois. Ce sursis peut être prorogé à deux reprises, chaque fois pour une durée maximum de trois mois, portant le délai maximal du sursis à neuf mois, durée qui vient s’ajouter à la durée de la procédure en déguerpissement proprement dite. Le juge accordera le sursis après avoir vérifié « si, en raison des circonstances, le requérant paraît mériter cette faveur, et qu’il prouve avoir effectué des démarches utiles et étendues pour trouver un nouveau logement, à moins que le sursis ne soit incompatible avec le besoin personnel de l’autre partie ». Le sursis, ainsi que ses prorogations, sauf dans la dernière hypothèse, sont accordés indépendamment de la raison qui a motivé la décision de déguerpissement, donc y compris s’il est dû à la faute du locataire.
Le Conseil d’État comprend toutefois que, même en présence de ce régime relativement protecteur des intérêts du locataire (ou occupant sans droit ni titre), à condition que le concerné connaisse ses droits, les auteurs du projet entendent prévoir une protection additionnelle pour éviter des expulsions en pleine période hivernale, compte tenu de la situation économique actuelle. Il note que ce régime spécial sera limité aux seuls locataires, excluant de son bénéfice les occupants sans droit ni titre. Il note encore que ce sursis sera, du moins selon l’exposé des motifs, réservé aux personnes qui font face à « une quasi impossibilité de retrouver rapidement un nouveau logement au vu de leur situation économique indubitablement difficile », et au vu du « manque de logements d’appui à disposition des services sociaux étatiques et communaux ». Le Conseil d’État note enfin que la conséquence du manque de ce type de logements sera en fin de compte à supporter par les propriétaires des logements concernés, auxquels il n’est toutefois pas imputable, et s’interroge sur une éventuelle obligation de l’État de tenir ces propriétaires quittes et indemnes des conséquences de la nouvelle législation si les locataires concernés ne respectent pas les obligations découlant du bail résilié pendant cette période additionnelle.