L’objet principal du projet de loi sous examen est plus précisément de modifier les conditions d’octroi de l’allocation familiale visées aux articles 269 et 270 du Code de la sécurité sociale afin de tenir compte de l’arrêt C- 802/18 de la CJUE.
Le Conseil d’État constate que les auteurs procèdent à un changement de paradigme quant au droit à l’allocation familiale, en remplaçant le droit personnel de l’enfant résident, qui a été consacré pour la première fois par la loi du 19 juin 1985 concernant les allocations familiales et portant création de la caisse nationale des prestations familiales, par un droit du parent affilié à la sécurité sociale pour l’enfant avec lequel il présente un lien de filiation direct, et ce indépendamment du fait qu’il pourvoit réellement à l’entretien de cet enfant.
L’allocation familiale, dans sa teneur proposée, s’apparente dès lors plutôt à une « allocation parentale », voire « prime d’enfant », qu’à une allocation familiale dont la finalité sous-jacente est de servir l’intérêt de l’enfant.
Dans son avis, le Conseil d’Etat émet des oppositions formelles.
En ce qui concerne plus précisément l’article 269, paragraphe 1er, alinéa 2, dans sa teneur proposée, celui-ci se heurte au principe de l’égalité devant la loi tel qu’inscrit à l’article 10bis, en ce qu’il réserve le droit à l’allocation familiale au parent qui est affilié obligatoirement à la sécurité sociale luxembourgeoise à titre d'indépendant et « qui n'est pas dispensé d'une retenue de cotisation au titre de la législation luxembourgeoise sur l'assurance maladie. » En visant les seuls parents qui ne sont pas dispensés d’une retenue de cotisation, les auteurs du projet de loi sous examen excluent à titre d’exemple les aidants informels visés à l’article 350, paragraphe 7, du Code de la sécurité sociale. Cette manière de procéder écarte la circonstance que l’élément déclencheur pour bénéficier de l’allocation familiale reste l’enfant.
Le Conseil d’État donne encore à considérer que dans la mesure où les auteurs affirment ne pas vouloir opérer un changement de paradigme, le projet de loi n’est pas proportionné au but poursuivi, à savoir l’intérêt de l’enfant. Dans ce contexte, le Conseil d’État donne à considérer que l’article 273, paragraphes 2 et 4, du Code de la sécurité sociale, tel que proposé, se réfère toujours à la « résidence effective et continue » de l’enfant et donc au droit personnel de celui-ci. Il est rappelé que les allocations familiales « ont leur finalité propre, surtout depuis l'uniformisation du montant des allocations pour tous les enfants, indépendamment du statut professionnel de leurs parents. En effet, depuis cette uniformisation les allocations familiales sont fonction de l'existence des enfants et sont destinées à leur profit. Le principe selon lequel les allocations destinées aux enfants doivent effectivement être utilisées dans leur intérêt et constituent un droit personnel des enfants, est ancré légalement depuis cette modification législative, afin d’avoir le plus de garanties possibles que ce but et cette finalité soient atteints. » Ainsi, dans la mesure où les allocations familiales sont destinées au profit des enfants et doivent être utilisées dans leur intérêt, se pose la question du respect du principe de proportionnalité, reconnu comme principe de droit à valeur constitutionnelle par la Cour constitutionnelle. En l’espèce, les conditions d’octroi, telles que proposées, ne coïncident pas avec la finalité des allocations familiales en ce qu’elles se limitent à octroyer l’allocation familiale au parent biologique ou adoptif, et ce indépendamment du fait que celui-ci pourvoit ou non à l’entretien de l’enfant.