Par Ariane Claverie et Lucas Lefebvre, Avocats à la Cour, CASTEGNARO – Ius Laboris Luxembourg
Que se passe-t-il, si, après avoir signé une promesse d’embauche pour accord, un candidat prétend que les termes du contrat de travail qui lui est soumis diffèrent de la promesse d’embauche ?
C’est à cette question que les juges de la Cour d’appel ont dû répondre dans un arrêt très récent rendu le 2 juin 2022.
1. Pourparlers, offre d’embauche, promesse d’embauche : des notions à ne pas confondre
a) Les pourparlers
Dans la relation précontractuelle, les pourparlers sont des échanges entre l’employeur et une personne intéressée par un poste de travail.
Ces pourparlers souvent oraux peuvent également faire l’objet d’échanges écrits formulés au cours d’une période précontractuelle. Contrairement aux idées reçues, il ne s’agit pas d’une simple formalité sans conséquence. C’est le moment où vont être satisfaits les devoirs d’information de l’employeur envers le candidat (futures fonctions, future rémunération, etc), et du candidat envers l’employeur (diplômes, expériences professionnelles, etc).
Pendant cette période, par principe, l’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres.
La liberté de rupture des pourparlers n’est cependant pas absolue et comporte certaines limites. La rupture ne doit être ni abusive, ni fautive, ou être exercée dans l’intention de nuire et doit également satisfaire aux exigences de la bonne foi. Dès lors, la victime d’une faute commise au cours de la période qui a précédé la conclusion d’un contrat est en droit de poursuivre la réparation du préjudice qu’elle estime avoir subi sur le fondement de la responsabilité délictuelle. Ce pourra être le cas par exemple, lorsque la rupture des pourparlers repose sur une cause discriminatoire.
b) Offre d’embauche, promesse d’embauche : des notions différentes souvent confondues
Dans le cadre de la période précontractuelle, il arrive fréquemment que le futur employeur souhaite clore les pourparlers afin de permettre la conclusion du contrat de travail. Dans ce cadre, il peut arriver que l’employeur transmette au candidat une offre d’embauche, sinon une promesse d’embauche. Le champ du contentieux appelle les tribunaux à distinguer ces deux notions relativement ambigües.
i) L’offre d’embauche constitue un acte unilatéral par lequel l’employeur manifeste sa volonté de recruter le candidat retenu. Il s’agit donc d’une proposition de contrat ferme, puisqu'elle exprime la volonté de son auteur d'être tenu en cas d'acceptation par le salarié, dans un délai déterminé.
Celle-ci doit mentionner :
- les conditions d'embauche du salarié; notamment les modalités de la tâche à accomplir, la date d’embauche ainsi que la rémunération ;
- le délai maximum pour que le candidat accepte l'offre.
Lorsque cette offre d’embauche est rédigée avec soin, le contrat de travail proprement dit ne devrait être formé que lorsque le salarié aura donné son accord en acceptant l'offre. Il sera également permis à l’employeur de se rétracter tant que l’accord du salarié n’aura pas été recueilli.
ii) La promesse d’embauche constitue un acte unilatéral par lequel l’employeur s’engage à établir un contrat de travail avec le candidat si celui-ci l’accepte. A contrario de l’offre d’embauche, la promesse d’embauche est donc un acte par lequel l’employeur promet un engagement à un candidat, sans possibilité pour l’employeur de se rétracter.
Elle doit être considérée comme un « avant-contrat de travail » permettant au salarié de lever « un droit d’option » qui parachèvera définitivement la formation du contrat projeté. L’employeur s’engage à établir un contrat de travail avec le candidat si celui-ci l’accepte. En d’autres termes, la promesse étant un contrat préparatoire, le consentement de l'employeur a déjà été donné de manière irrévocable. Il en résulte donc que la levée de l'option par le salarié emporte de plein droit conclusion du contrat de travail.
La portée de cet acte est donc bien plus contraignante que celle relative à l’offre d’embauche. La promesse d’embauche ne laisse plus la place au doute pour l’entreprise, l’employeur témoigne d’un engagement ferme de sorte que le contrat sera conclu sur la seule déclaration de volonté du bénéficiaire.
Il résulte de la (rare) jurisprudence luxembourgeoise que « La promesse unilatérale est […] la convention par laquelle le promettant, en l'espèce l'employeur, s'engage envers le bénéficiaire et si, celui-ci le lui demande dans un certain délai, à conclure un contrat de travail dont les conditions sont dès à présent suffisamment déterminées. » (Cour d’appel, 29 octobre 1998, n°19279 et 19340 du rôle).
« Pour qu’il y ait promesse unilatérale de contrat engageant définitivement la personne dont elle émane, il faut que la manifestation de volonté de celui qui s’engage témoigne d’un engagement ferme qui le lie en tout état de cause de sorte que le contrat sera conclu sur la seule déclaration de volonté du bénéficiaire de la promesse. […] Pour qu’il y ait promesse avec formation du contrat dès son acceptation par le bénéficiaire, il faut en outre que les éléments essentiels du contrat à passer soient dès à présent déterminés avec une précision suffisante. » (Cour d’appel, 12 mai 2011, n°35496 du rôle).
Pour qu’elle soit qualifiée de « promesse », il est donc nécessaire que l’ensemble des éléments essentiels du contrat de travail soient repris afin de garantir que les pourparlers sont bien terminés. Il s’agit :
- des conditions d’embauche de l’employé ;
- de la nature de la prestation de travail ;
- de la date d'embauche ;
- de la durée de l'engagement ;
- de la rémunération versée.
Dès lors, la fermeté de la promesse suffira à caractériser le contrat de travail en ce qu'elle manifeste une intention réelle de conclure le contrat à des conditions définies.
iii) Offre de contrat ou promesse d’embauche, le contenu objectif reste matériellement le même. Seule la volonté exprimée par la rédaction les distingue donc. Un mot de trop, une formule mal rédigée, et l'acte peut ne pas correspondre à l'intention recherchée. C’est ainsi qu’une offre d’embauche peut parfaitement être analysée comme étant une promesse (ou l’inverse) et engager l’employeur à conclure un contrat de travail quand bien même il n’en a plus l’intention. La distinction entre offre et promesse d’embauche revêt dès lors une importance fondamentale dans la mesure où une promesse d’embauche peut emporter de graves conséquences, notamment en cas de rétractation de l’employeur.
Quoi qu’il en soit, ces actes, lorsqu’ils sont acceptés par la personne recrutée, créent à la charge de l’employeur l’obligation ferme de conclure dans un certain délai un contrat de travail. La rétractation postérieurement à l’acceptation par le salarié ayant les effets d’un licenciement abusif, elle est susceptible d’ouvrir droit pour le salarié à des dommages et intérêts à hauteur du préjudice causé (démission de l’ancien poste, refus d’une autre proposition, etc).
2. Qu’en est-il lorsque les termes du contrat de travail diffèrent de la promesse d’embauche ?
C’est la question à laquelle la Cour d’appel a eu à répondre dans un arrêt rendu le 2 juin 2022.
Après avoir signé une promesse d’embauche, une candidate reprochait à son futur employeur d’avoir modifié les termes contractuels lors de la présentation du contrat de travail définitif en ce que le montant de la rémunération annuelle et du bonus ainsi que le type de véhicule de fonction retenus dans le contrat de travail n’auraient pas correspondu aux termes de la promesse d’embauche. Selon la candidate, cette modification des termes de la promesse d’embauche constituerait une modification de contrat de travail dans la mesure où ils touchaient des éléments essentiels de ce dernier. La candidate a alors refusé de signer ledit contrat en considérant que l’employeur avait rompu la promesse d’embauche. Elle a alors fait convoqué la société devant les juridictions du travail aux fins de voir déclarer cette rupture de la promesse d’embauche être qualifiée de licenciement abusif et de réclamer le paiement de dommages-intérêts.
Selon la candidate, en acceptant la promesse d’embauche, le contrat de travail aurait été conclu selon les termes de ladite promesse. De fait, lorsque l’employeur avait modifié les termes de la promesse dans ses éléments essentiels, il aurait modifié le contrat de travail, de sorte qu’il lui était indispensable de recueillir l’accord de la candidate. Faute d’accord, le lien contractuel serait resté inchangé et l’employeur aurait rompu le contrat de travail ainsi formé par la promesse d’embauche.
Cependant, ni le tribunal du travail, ni la Cour d’appel n’ont suivi le raisonnement de la salariée.
Selon les juridictions du travail, il appartenait à la candidate d'établir la réalité des manquements qu'elle reprochait à l'employeur et sur lesquels elle fondait son action.
En effet, en matière de rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur, la charge de la preuve ne pèse pas sur ce dernier de la même manière que lors d’un licenciement, mais sur le salarié. Il lui appartient de démontrer les manquements de l’employeur ainsi reprochés.
Or, selon le tribunal du travail et la Cour d’appel, faute pour la candidate de prouver la rupture de son contrat de travail et plus particulièrement, la rupture de la promesse d’embauche par le fait de ne pas lui présenter un contrat de travail conforme à cette promesse, elle n’avait pas établi son licenciement.
En effet, la candidate n’était pas en possession du contrat de travail proposé par l’entreprise, et non conforme aux termes de la promesse d’embauche, dans la mesure où elle l’avait déchiré et jeté peu de temps après l’entretien. Elle n’était pas non plus en mesure de produire des échanges qui justifiaient une rupture de son prétendu contrat de travail. Dès lors, la candidate n’avait pas établi avoir été licenciée par la société dans la mesure où ses arguments ne reposaient que sur ses simples déclarations qui étaient contestées par l’entreprise.
Dans ces conditions, et faute d’éléments justifiant la prétendue modification des termes de la promesse d’embauche et le prétendu licenciement reproché par la candidate, la Cour d’appel a confirmé le jugement rendu par le tribunal du travail et a déclaré l’appel non fondé.