Une salariée s’est plainte à son employeur de gestes déplacés à son égard, de la part d’un de ses collègues au travail. Aussitôt, l’employeur entame une enquête interne conformément à ses obligations légales en matière de harcèlement sexuel.
Une semaine après la plainte, le salarié est convoqué à un entretien préalable puis licencié avec effet immédiat.
Ce dernier saisit alors le tribunal du travail pour voir déclarer son licenciement abusif et pour obtenir la réparation de son préjudice matériel et de son préjudice moral liés à la résiliation de son contrat de travail.
En première instance, le tribunal déclare le licenciement comme étant abusif, alors qu’il estime que l’employeur « aurait pu avoir recours à des ‘’mesures moins radicales’’ et tenter d’amener le [salarié] à changer de comportement, avant de prendre une mesure plus sévère, d’autant que ce dernier présentait une ancienneté de quinze ans et n’avait ‘’jamais fait l’objet d’une remarque négative’’». Le tribunal retient finalement que, bien que son comportement soit établi « dans une certaine mesure », il n’était pas de nature à « 0 ».
L’employeur interjette appel de cette décision afin de voir déclarer justifié le licenciement avec effet immédiat intervenu. Ce dernier estime que le comportement inapproprié du salarié se serait étendu sur plusieurs années et envers plusieurs personnes, qu’il l’a en partie reconnu, et que le harcèlement sexuel reproché serait, en soi, constitutif d’une faute grave.
L’arrêt rendu par la Cour d’appel le 8 juin 2023 permet de faire un point sur la qualification de harcèlement sexuel et sur la portée de la gravité d’un tel grief.
L’employeur a l’obligation de faire cesser immédiatement tout harcèlement dont il a connaissance en prenant des mesures adéquates à l’égard de l’auteur des faits. Si le choix de la sanction permettant de faire cesser le harcèlement appartient à l’employeur, en cas de licenciement avec effet immédiat, le tribunal du travail va rechercher si le harcèlement constitue un motif grave rendant immédiatement et définitivement impossible le maintien des relations de travail.
Dans l’appréciation de la faute commise, le juge va également tenir compte du degré d’instruction, des antécédents professionnels du salarié, de sa situation sociale, et de tous les éléments pouvant influer sur la responsabilité du salarié.
Dans le cadre de l’arrêt commenté, la Cour d’appel a estimé que les faits reprochés au salarié ne sont pas suffisamment établis par l’employeur, qui ne rapporte pas de témoignages directs (c’est-à-dire émanant de personnes ayant assisté aux faits), ni d’autre élément probant.
Il est à noter que les juges ont en l’espèce retenu que le fait pour le salarié d’embrasser sa collègue dans un ascenseur, sans précisions quant aux circonstances dans lesquelles le baiser a été donné et notamment si un événement particulier pouvait le « justifier » (!), ne suffisait pas à caractériser un acte de harcèlement sexuel susceptible d’être réprimé par un licenciement avec effet immédiat.
De plus, l’arrêt mentionne que deux autres « victimes » de gestes déplacés du salarié ont, par le passé, « jugé approprié de remettre elles-mêmes [le salarié] à sa place, sans y réserver aucune suite », et que de tels gestes ne se sont « produits qu’une seule fois », de sorte que le comportement inapproprié du salarié ne saurait être, selon la Cour, considéré comme suffisamment grave pour justifier un licenciement avec effet immédiat.
Ce raisonnement de la Cour d’appel soulève plusieurs questions :
- Le fait pour un salarié de se « défendre » par lui-même d’un acte de harcèlement sexuel atténuerait-il la gravité de la faute commise ainsi que la responsabilité de son auteur ?
- Le fait de souligner que chacune des salariées n’aient subi de geste déplacé qu’ « une seule fois » atténuerait-il également la faute commise, bien que de par sa définition légale, le harcèlement sexuel ne nécessite aucune répétition du comportement litigieux ?
- Un salarié victime d’un acte de harcèlement sexuel pourrait-il se voir reprocher le fait de ne pas avoir réagi face à un tel comportement, imputant ainsi une nouvelle obligation à la charge de la victime, alors même qu’il suffit que la victime s’en soit sentie blessée pour rendre ce comportement répréhensible (voir en ce sens l’arrêt de la Cour d’appel du 29 juin 2006, n° 30051) ?
En suivant le raisonnement des juges dans cet arrêt, un comportement déplacé au travail émanant d’un salarié pourrait être qualifié de harcèlement sexuel permettant de justifier un licenciement avec effet immédiat, s’il pouvait être établi que :
- les gestes déplacés se soient produits plus d’une fois (alors qu’un comportement unique peut suffire à être qualifié comme tel, selon la gravité de l’acte, contrairement au harcèlement moral, voir en ce sens le jugement du Tribunal du travail de et à Luxembourg du 29 mai 2017, n° 2114/17) ;
- l’auteur de la plainte ait réagi face à ces gestes ;
- l’auteur de la plainte ait entrepris une démarche sans « tarder » auprès de sa hiérarchie, de son organisation syndicale ou des autorités étatiques compétentes, sauf à prouver qu’en agissant de la sorte il se serait exposé à une menace ; et que
- les faits, même si non contestés ou contredits, soient étayés par un (des) témoignage(s) direct(s) et/ou tout autre élément probant.
Ce raisonnement est assez critiquable dans la mesure où le salarié présumé auteur des faits en l’espèce n’a pas contesté avoir embrassé la plaignante dans l’ascenseur, et qu’il est « reproché » à cette dernière de ne pas s’être adressée à une autorité hiérarchique plus tôt afin de se plaindre du comportement de son collègue, et de ne pas en avoir parlé à l’occasion d’un entretien annuel d’évaluation.
La Cour d’appel retient tout de même que ce dernier acte précédant la plainte était de nature à justifier une « réaction forte » de la part de la salariée s’étant plainte, ainsi que de l’employeur afin que de tels actes ne se reproduisent plus. Toutefois, le licenciement avec effet immédiat en question n’a pas été jugé approprié face au comportement reproché.
Pour juger ainsi, les juges ont également retenu que la faute grave n’était pas constituée, dans la mesure où le salarié présentait une ancienneté de quinze ans et n’avait jamais fait l’objet d’une quelconque mesure disciplinaire auparavant.
Il en résulte que l’enquête interne menée par l’employeur suite à une plainte est fondamentale, d’une part pour s’acquitter de ses obligations légales, et d’autre part pour justifier le bien-fondé du choix de la sanction prise pour faire cesser le harcèlement sexuel.
L’employeur devrait ainsi diligenter une enquête interne de sorte à permettre l’audition :
- du salarié s’étant plaint d’un comportement déplacé, de sorte à obtenir les précisions suffisantes concernant les faits dénoncés ;
- des salariés susceptibles d’établir la réalité des faits dénoncés, et/ou ayant éventuellement subi un comportement déplacé à connotation sexuelle du même salarié ; et
- de l’auteur présumé, afin de recueillir ses observations sur la plainte et l’ensemble des témoignages.
Les conclusions de l’enquête détermineront en principe le caractère avéré ou non des faits dénoncés, et en conséquence, ce ne sera qu’à l’issue de cette enquête que pourront être déterminées utilement les éventuelles mesures et/ou sanctions à prendre.
Au regard de cette décision, un acte de harcèlement sexuel, même non contesté par l’auteur des faits, ne constituerait pas ipso facto une faute grave permettant de justifier un licenciement avec effet immédiat, le comportement en cause étant à analyser au regard des spécificités de l’espèce.
Il n’en reste pas moins nécessaire que de tels agissements ne soient pas laissés impunis par l’employeur, étant lui-même responsable de sa passivité face à des faits de harcèlement sexuel commis par ses salariés, clients ou encore fournisseurs.