Cessation d’activité, transfert d’entreprise…: la restructuration décidée par un employeur peut prendre différentes formes, non sans conséquence sur le contrat de travail du salarié en congé parental. Quid de l’obligation de conserver le poste de ce dernier en cas de difficultés économiques? Un arrêt du 18 mars 2021 apporte d’importantes précisions en la matière.
Une salariée engagée comme unique esthéticienne d’un institut de beauté part en congé maternité en 2015 et prolonge son absence durant plus de 2 ans en raison d’une seconde maternité successive suivie d’un congé parental.
Durant son absence, les décisions suivantes sont prises par l’institut de beauté, qui fait face à d’importantes difficultés économiques:
- cessation définitive et disparition de l’activité de soins esthétiques;
- location des locaux de l’institut à une société B, nouvellement créée et prestant des services de soins esthétiques.
Lorsque la salariée reprend son travail à l’issue de son congé parental en octobre 2017, l’employeur (i.e. l’institut de beauté) lui notifie, le jour même de sa reprise, un licenciement pour motifs économiques par lettre remise en mains propres contre décharge, avec un préavis de deux mois.
Pour l’exécution du préavis, l’employeur affecte la salariée aux fonctions de femme de ménage avec maintien de sa rémunération, le poste d’esthéticienne ayant été supprimé du fait de l’arrêt de l’activité.
Deux jour après son retour, la salariée se déclare en incapacité de travail et ne revient plus jusqu’à la fin du préavis.
Quatre mois plus tard, elle saisit le tribunal du travail pour voir déclarer son licenciement abusif et pour obtenir réparation du préjudice moral lié à la modification unilatérale d’une clause essentielle de son contrat de travail.
Devant la Cour d’appel, la salariée soutient également que son contrat de travail aurait dû être transféré à la société B dans le cadre d’un transfert d’entreprise.
L’arrêt rendu par la Cour d’appel le 18 mars 2021 [1] permet de faire le point sur la situation et les différentes notions juridiques applicables.
Régularité du licenciement économique pour suppression de poste
La Cour rappelle que le Code du travail autorise l’employeur à licencier pour des motifs «fondés sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise [2] ».
Toutefois, l’employeur doit établir les raisons économiques qui justifient le licenciement pour que ce dernier soit régulier.
Or, la Cour relève que la réalité et la nécessité de la restructuration sont notamment établies par les bilans de l’institut de beauté et le plan de redressement livré par le cabinet de conseil de l’employeur, dont il ressort «un problème de liquidité induit par un ‘cash burn’ [consommation de trésorerie], principalement dû à la situation de perte», l’une des propositions visant à réduire les coûts étant l’«abandon de l’exploitation de l’activité soins esthétiques (…)».
La Cour en conclut que l’activité de soins esthétiques et le poste qui y était rattaché étant devenus superflus, l’employeur était libre de s’en défaire et de supprimer le poste d’esthéticienne [3] .
Mais elle tient également compte des précisions suivantes pour confirmer la réalité de la cessation d’activité et valider le licenciement pour motifs économiques:
- Le fait que la société B exploite les soins esthétiques et assure ses services dans les locaux de l’employeur ne permet pas, à lui seul, de remettre en cause l’arrêt de l’activité de soins esthétiques par l’employeur, imposé par sa situation économique.
- Aucun élément du dossier ne permet de retenir qu’un accord a été passé entre l’employeur et la société B pour un «outsourcing» [externalisation] de l’activité de soins esthétiques.
Impossibilité matérielle de conserver l’emploi de la salariée face aux difficultés économiques avérées
Durant le congé parental, l’employeur a l’obligation légale [4] de conserver l’emploi du salarié ou, en cas d’impossibilité, un emploi similaire correspondant à ses qualifications et assorti d’un salaire au moins équivalent.
À ce titre, il a déjà été jugé qu’un licenciement pour suppression de poste peut être notifié à l’issue du congé parental, le premier jour de la reprise du salarié, dès lors que son poste n’a pas été supprimé durant le congé parental [5] : dans l’affaire en cause, la Cour avait relevé que l’employeur n’avait fait que pourvoir au remplacement de la salariée durant son congé parental, en réorganisant le service pour pallier au mieux son absence et éviter tout dysfonctionnement, et n’avait pas déjà supprimé son poste. Par ailleurs, le licenciement était motivé par une réorganisation rendue nécessaire par le fonctionnement de l’entreprise, sans qu’il y ait de difficultés économiques avérées à la base.
Or, en l’espèce, l’arrêt de l’activité de soins esthétiques et la suppression de l’unique poste d’esthéticienne qui en a découlé sont intervenus durant le congé parental de la salariée.
Pour la Cour, «dans le cadre de la restructuration, opérée suite aux difficultés économiques avérées de la société, l’employeur était dans l’impossibilité matérielle de pouvoir conserver l’emploi de [la salariée], unique esthéticienne (…) et dont la qualification professionnelle spéciale ne permettait pas l’affectation à un emploi similaire. Dans ce contexte, la Cour ne saurait retenir une violation des obligations légales, prévues par [le] Code du travail, dans le chef de l’employeur.»
En l’espèce, la Cour valide donc le licenciement notifié à la salariée à l’issue de son congé parental et motivé par la suppression de son poste due à l’arrêt de l’activité durant le congé parental, en raison de difficultés économiques avérées.
Procédure à respecter pour modifier unilatéralement les fonctions de la salariée
L’arrêt de l’activité ayant entraîné la suppression du poste de la salariée, l’employeur a pris la décision d’affecter cette dernière aux tâches de femme de ménage durant son préavis.
Pour la Cour, une modification du contrat qui change profondément l’importance de la fonction confiée au salarié constitue une modification d’une clause essentielle du contrat de travail, y compris en cours de préavis et même si la rémunération est maintenue.
La procédure de l’article L. 121-7 du Code du travail était donc applicable en l’espèce, et l’employeur aurait dû notifier à la salariée la modification unilatérale de ses fonctions dans les formes et délais requis.
Or, bien qu’il ne l’ait pas fait, la salariée n’a ni refusé ladite modification, ni demandé sa nullité dans un délai raisonnable, comme le prévoit pourtant la procédure [6] . Au contraire, elle a effectué durant deux jours les prestations de femme de ménage, avant de partir en maladie et de saisir les tribunaux, quatre mois plus tard, pour obtenir indemnisation de son préjudice.
Selon la Cour d’appel, la salariée a ainsi tacitement accepté la modification unilatérale de ses fonctions par l’employeur et ne peut donc par la suite être indemnisée pour l’absence de notification de cette dernière [7] .
Absence de transfert d’entreprise
Enfin, la salarié soutenait que le contrat de location conclu entre l’employeur et la société B n’était que de la «poudre aux yeux» pour cacher un transfert d’entreprise, lequel aurait imposé le transfert de son contrat de travail à la société B [8] .
La Cour ne valide pas ce point de vue en l’espèce. Si un transfert d’entreprise ne peut motiver un licenciement [9] , encore faut-il qu’il y ait bien transfert d’entreprise au sens du Code du travail.
Selon la jurisprudence constante [10] , le transfert d’entreprise nécessite «la persistance d’un ensemble de moyens de production organisés et la poursuite d’une activité identique ou similaire». Or, en l’espèce:
- l’employeur a cessé son activité de soins esthétiques suite à des difficultés financières;
- le fait que la société B preste des services de soins esthétiques dans les locaux de l’employeur suite à un contrat de location ne prouve pas l’existence d’un tel transfert;
- aucun élément du dossier ne permet de retenir qu’un accord a été passé entre l’employeur et la société B quant à un transfert d’entreprise.
Écrit par Dorothée David-Milinkiewicz, Juriste en droit social - Head of knowledge, CASTEGNARO-Ius Laboris Luxembourg
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[1] Cour d’appel, 18 mars 2021 n° CAL-2020-00187 du rôle.
[2] Articles L.124-5 (2) et L.124-11 (1) du Code du travail.
[3] Cf. notamment en ce sens Cour d’appel, 12 novembre 2020, n°CAL-2019-00330 du rôle.
[4] Article L. 234-47 (9) du Code du travail.
[5] Cf. Cour d’appel, 6 décembre 2018 n° 45227 du rôle.
[6] Cf. Cour d’appel, 15 mars 2018 n° 44384 du rôle; Cour d’appel, 17 octobre 2013 n° 39336 du rôle.
[7] Cf. notamment Cour de cassation, 28 avril 2016 n° 3633 du registre.
[8] Article L. 127-3 (1) du Code du travail.
[9] Article L.127-4 (1) du Code du travail.
[10] Cf. notamment Cour d’appel, arrêt du 25 février 2021 n° CAL-2019-01075.