Un décompte d’heures établi à partir d’un système mis en place par l’employeur, dans lequel un salarié y enregistre des heures qu’il a prestées, afin de facturer les projets aux clients, suffit-il à prouver l’accord de l’employeur et partant, les heures supplémentaires prestées par un salarié ?
Rappels sur la notion d’heures supplémentaires
À titre de rappel, le Code du travail1 définit les heures supplémentaires de manière large, comme tout travail effectué au-delà des limites journalières et hebdomadaires de la durée normale de travail déterminée par la loi ou les parties.
Les heures supplémentaires ne peuvent être prestées que dans certains cas, et sont soumises à notification, autorisation ou information de l’Inspection du Travail et des Mines2.
Le Code du travail3 précise également que sauf exceptions, la durée de travail maximale ne peut pas dépasser dix heures par jour, ni quarante-huit heures par semaine. Par conséquent, un salarié ne peut en principe prester que deux heures supplémentaires par jour, et huit heures supplémentaires par semaine.
La qualification d’heures supplémentaires requiert que les heures supplémentaires soient faites sur demande de l’employeur : il n’y a donc aucune difficulté en cas d’heures supplémentaires prestées sur ordre ou avec l’accord exprès de ce dernier.
Il peut cependant y avoir débat sur la qualification d’heures supplémentaires, en l’absence d’ordre ou d’accord exprès de l’employeur.
Lorsqu’un salarié prétend avoir presté des heures excédant la durée journalière respectivement hebdomadaire de travail, et que cela est contesté par l’employeur, la charge de la preuve pèse sur le salarié.
Dès lors, il appartient au salarié d'établir non seulement qu'il a effectivement presté ces heures supplémentaires, mais qu'il les a prestées avec l'accord de l'employeur, qui peut être exprès ou tacite.
La jurisprudence s’est prononcée à maintes reprises4 sur la valeur probante de différentes pièces que peut produire un salarié, dans le cadre de l’administration de la preuve des heures supplémentaires qu’il prétend avoir prestées.
Le salarié recourt généralement à des preuves établies à partir du système de mesure du temps de travail utilisé par l’employeur, et ce n’est que lorsqu’il ne dispose pas de tels documents, que le salarié recourt à des modes de preuves unilatéraux, tels que des rapports de travaux journaliers ou hebdomadaires, ou encore des calepins.
Un système de mesure du temps de travail peut être une pointeuse, ou encore un tachymètre comme ceux équipant les camions.
La simple connaissance dans le chef de l'employeur de ce qu'un salarié a presté des heures supplémentaires ne suffit pas, à défaut d'accord de l'employeur, à générer une obligation de rémunération du travail supplémentaire.
Toutefois dans un arrêt du 12 janvier 2015 5 , la Cour d’appel a déjà considéré que lorsque l’employeur utilise un système de pointage afin de contrôler les heures prestées, l’accord tacite de ce dernier est établi quant aux heures supplémentaires prestées dès lors qu’il n’a pas exprimé au salarié son désaccord quant à la prestation de telles heures. Dans ce cas, une liste de pointage suffit donc pour prouver la prestation d’heures supplémentaires et l’accord de l’employeur.
Le problème des relevés d’heures issus d’un programme de facturation des clients
En considération du prédit arrêt du 12 janvier 2015, on peut légitimement s’interroger sur le fait de savoir si tout système mis en place par l’employeur et dans lequel les heures des salariés sont enregistrées, est, au même titre qu’une pointeuse, un instrument de contrôle des heures de travail, permettant de prouver que l’employeur a donné son accord tacite à la prestation d’heures supplémentaires.
C’est la question à laquelle la Cour d’appel a eu à répondre dans un arrêt du 1er juillet 2021 6 .
Il est acquis en jurisprudence que les fiches de pointage peuvent prouver tant des heures prestées y indiquées que l’accord tacite de l’employeur pour la prestation des heures supplémentaires, dans la mesure où le système informatique de pointage installé par un employeur a justement pour finalité de vérifier le temps de travail exact de ses salariés7 .
Dans l’affaire du 1er juillet 2021 qui nous occupe, la salariée avait relevé appel du jugement qui lui avait été notifié le 15 juin 2019, en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en paiement d'heures supplémentaires et sollicita le paiement du montant de 5.745,90 euros, au titre de 321 heures supplémentaires qu'elle affirmait avoir prestées durant la relation de travail.
La position de la salariée
La salariée soutenait que les heures supplémentaires qu’elle affirmait avoir prestées seraient recensées dans un système officiel de pointage utilisé par l'employeur pour le comptage des heures prestées dans le cadre des différents projets. L'employeur aurait toléré la prestation d'heures supplémentaires pendant une période de sept mois. La pratique d'encodage par la salariée dans le programme des heures prestées aurait duré pendant toute la relation de travail et l'employeur n'aurait jamais enjoint à la salariée d'arrêter de prester des heures supplémentaires, respectivement informé celle-ci que les heures prestées n'étaient pas à considérer comme des heures supplémentaires.
À l’appui de sa demande, la salariée avait versé un relevé d’heures supplémentaires établi sur base de données qu'elle reconnaissait avoir elle-même encodées dans le système de l’employeur consacré aux projets.
Il importe de relever que l’employeur avait versé les mêmes relevés d’heures que ceux produits par la salariée. Mais alors que cette dernière les avait versés pour établir une acceptation tacite des heures supplémentaires par l’employeur, ce dernier les avait versés pour illustrer le programme enregistrant les temps encodés par la salariée.
Il est donc intéressant de noter que l’employeur et la salariée étaient d'accord à reconnaître que le relevé qu'elles produisaient chacune, était identique.
La position de l’employeur
Afin de contester l'existence d'un prétendu accord tacite au sujet de la prestation d'heures supplémentaires, l’employeur a affirmé que :
i) il ne dispose pas d’un système de pointage des heures prestées par les salariés pour l’établissement des fiches de salaire ;
ii) le système à partir duquel la salariée avait établi les relevés d’heures qu’elle a versés à la Cour n'était pas un système de pointage d'heures prestées ;
iii) le système était un programme ayant pour finalité le contrôle et la facturation de projets aux clients ;
iv) il n'a jamais exigé de ses salariés qu’ils encodent les tâches administratives dans le système et que les heures non explicitement attribuées à des projets n’auraient pas été évaluées par le management dans le cadre de la facturation :
v) le raisonnement de la salariée aboutirait à discriminer les salariés n’ayant pas encodé les tâches administratives, justement parce que l’employeur ne l’exigeait pas ;
vi) il n’a jamais effectué le moindre contrôle du fichier issu du système ;
vii) la salariée disposait des codes d’accès au système, ceci lui permettant à tout moment et à son gré d’encoder dans le système, respectivement de modifier les données du système ;
viii) il n’existerait aucune garantie quant aux dates précises d’encodage dans le système.
Par conséquent, l’employeur soutenait qu’il utilisait uniquement le programme litigieux pour vérifier le nombre d’heures à facturer aux clients pour chaque projet.
L’employeur concluait donc en affirmant que le relevé d’heures versé par la salariée constituait un document unilatéral, qui n’avait pas de valeur probante.
La décision de la Cour d’appel
Sur base des prédites affirmations de l’employeur, la Cour a considéré que ce dernier avait valablement contesté les prétentions de la salariée.
La Cour a relevé que la salariée ne prouvait pas que :
i) le système litigieux était un système de pointage des heures prestées par les salariés ;
ii) chaque jour, elle avait soumis le relevé d'heures prestées à l'employeur ;
iii) l’employeur était tenu de contrôler à échéances régulières le relevé des heures encodées dans sa globalité, ce dans l'optique d'une véritable vérification du nombre d'heures prestées par la salariée.
Il résulte de ce qui précède, qu’un relevé d’heures ne servant qu’à la facturation des projets aux clients, et non pas au pointage des heures prestées par un salarié pour l’établissement des fiches de salaire, ne constitue pas une preuve des heures supplémentaires que le salarié prétend avoir prestées.
La Cour a considéré que la salariée ne prouvait pas que l'employeur avait connaissance de ce qu'elle avait presté des heures supplémentaires, et en quel nombre, et que la salariée était mal fondée à en induire dans le chef de l'employeur une acceptation tacite des heures supplémentaires qu'elle affirmait avoir prestées.
La Cour a donc décidé que la demande de la salariée en paiement des heures supplémentaires qu’elle prétendait avoir prestées avec l’accord tacite de l’employeur, était non fondée.
Il convient aussi de relever l’importance de cette décision, étant donné que la Cour d’appel explique clairement les différences distinguant une pointeuse, d’un système servant à la facturation des clients :
• Pointeuse : « il convient de rappeler que lorsque les heures de travail des salariés sont enregistrées par des pointeuses, un employeur vérifie nécessairement régulièrement à la fin de chaque mois les fiches de pointeuses des employés afin de vérifier si le nombre d'heures de travail obligatoire a été presté. Dans ce cadre, il constate nécessairement la prestation d'heures au-delà du travail normal et peut, le cas échéant, être amené à avertir un salarié que de telles heures, prestées de l'initiative du salarié, ne seront pas rémunérées et que le salarié ne doit pas dépasser les heures de travail prévues dans le contrat de travail ».
• Système de facturation clients : « Si, comme l'employeur l'affirme en l'espèce, le système SY.1.) était destiné à la facturation de projets uniquement, il n'a pas nécessairement vérifié de manière régulière le nombre d'heures presté par la salariée, mais uniquement le nombre d'heures que celle-ci a consacré à tel ou tel projet en particulier ».
En conclusion, cet arrêt vient confirmer la jurisprudence constante en la matière, en vertu de laquelle le salarié supporte la charge de la preuve des prétendues heures supplémentaires, en cas de contestation par l’employeur.
D’autre part, l’employeur a tout intérêt à clairement identifier l’objet du système d’enregistrement des heures auquel il recourt.
Il est rappelé que l’employeur est tenu d’inscrire sur un registre spécial ou sur un fichier le début, la fin et la durée du travail journalier ainsi que toutes les prolongations de la durée normale du travail, les heures prestées les dimanches, les jours fériés légaux ou la nuit ainsi que les rétributions payées de l’un ou de l’autre de ces chefs. Ce registre ou fichier est à présenter à toute demande de la part des agents de l’Inspection du travail et des mines .
En dernier lieu, il convient de rappeler que les problématiques afférentes à la durée du travail ne concernent en principe pas les cadres supérieurs.
Cour d’appel, 1er juillet 2021, n° CAL-2019-00797 du rôle
Dorothée David, Juriste en droit social – Head of knowledge et Pierre Leininger, Avocat, au sein du cabinet CASTEGNARO-Ius Laboris Luxembourg
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1 Article L.211-22 du Code du travail.
2 Articles L. 211-23 alinéa 2 et L. 211-24 du Code du travail.
3 Article L. 211-12 (1) du Code du travail
4 Voir notamment, CSJ, 3ième chambre, 23 novembre 2017, n°43948 et 43949 du rôle, concernant la preuve rapportée par les fiches de pointage (preuve suffisante). Voir aussi CSJ, 3ième chambre, 16 février 2006, n°29470 du rôle, concernant la preuve rapportée par les heures supplémentaires mentionnées sur la fiche de salaire (preuve suffisante). Voir également CSJ, 3ième chambre, 14 juillet 2016, n°42743 du rôle, concernant la preuve rapportée par des relevés manuscrits contresignés par plusieurs salariés et dressés à la demande de l’employeur (preuve suffisante). Voir aussi CSJ, 3ième chambre, 21 mai 2015, n°41177 du rôle, concernant la preuve rapportée par l’agenda personnel du salarié (pièce unilatérale, donc rejetée par la Cour).
5 Cour d’appel, arrêt du 12 janvier 2015, n°40228 du rôle : « L’employeur utilisant le système de pointage comme instrument de contrôle des heures prestées, il est établi que l’employeur savait que le salarié prestait des heures supplémentaires. Il n’est ni allégué ni établi que l’employeur ait informé le salarié de ce qu’il ne souhaitait pas la prestation d’heures supplémentaires de sa part, qu’il l’ait invité à limiter ses prestations au nombre d’heures conventionnelles et qu’il l’ait averti que des heures supplémentaires seraient prestées sans son accord et ne donneraient pas droit à rémunération. Il est établi que le salarié a presté des heures supplémentaires au vu et au su de l’employeur sans que le désaccord de l’employeur ne soit porté à la connaissance du salarié. La Cour en déduit que les heures supplémentaires ont été prestées pour l’employeur et avec son accord ».
6 n° CAL-2019-00797 du rôle.
7 CSJ, 3ième chambre, 23 novembre 2017, n°43948 et 43949 du rôle, précité.