Un salaire très confortable, une liberté d’organisation, un pouvoir de direction sont l’apanage du cadre supérieur.
Position prisée en raison de ses avantages au moment de l’embauche, le cadre supérieur reste pourtant souvent tiraillé, durant l’exécution du contrat, entre sa carrière et les prérogatives du simple salarié. Nombre d’entre eux tentent alors d’obtenir, en fin de contrat, la requalification de leur statut de cadre supérieur en salarié, auprès du juge du travail.
Les objectifs visent généralement à obtenir le bénéfice de dispositifs dont ils sont en principe exclus, en tant que cadres supérieurs : il s’agit bien souvent d’intérêts par une convention collective de travail (prime d’ancienneté, prime de signature, prime de conjoncture, 13ème mois, etc.) et/ou d’intérêts légaux tirés de la réglementation sur le temps de travail (heures supplémentaires, travail le dimanche).
Dans ce cadre, incombe-t-il au salarié ou à l’entreprise de prouver la qualité de cadre supérieur ou de simple salarié ? Et quelles preuves doivent être rapportées ?
C’est à ces questions que la Cour d’appel[1] vient de répondre, de manière complète et intéressante.
Un salarié initialement embauché en qualité de « Marketing / Account Officer » avait été promu au poste de « Assistant Manager », c’est-à-dire sous-directeur de la banque qui l’employait, avec un pouvoir de signature B.
Quelques mois plus tard, les parties avaient signé un avenant au contrat de travail, prévoyant ce qui suit :
« Votre salaire est hors convention[2] à partir du 01.01.2004 et s’élève annuellement à Euros 100,000. - brut et payé sur 12 mois. »[3]
Licencié pour motifs économiques, le salarié introduisit un recours en paiement d’arriérés de salaire, réclamant par ce biais à son employeur une série d’avantages prévus par la convention collective applicable aux salariés de banque, car il estimait qu’il n’était en réalité pas cadre supérieur, et aurait dû bénéficier de ces avantages collectifs.
Lorsque le contrat de travail prévoit que le salarié est cadre supérieur, il revient en principe au salarié qui contesterait cette situation de prouver qu’il ne serait en réalité pas à considérer comme cadre supérieur.
Ainsi que cela a été jugé à plusieurs reprises dans le passé[4], la Cour d’appel retient que si le salarié conteste la clause du contrat de travail lui reconnaissant le statut de cadre supérieur, qu’il avait pourtant lui-même acceptée lors de la signature de l’avenant à son contrat de travail, il lui incombe d’apporter la preuve qu’il ne serait en réalité pas à considérer comme cadre supérieur.
La Cour d’appel souligne à cet égard, au sein de l’arrêt commenté, « qu’il ressort de l’avenant au contrat de travail signé par les parties au litige […] que A a expressément accepté les stipulations de cet avenant ».
« Il appartient dès lors à A, qui plus de dix ans après la signature de cet avenant, conteste actuellement son statut de cadre supérieur, d’établir qu’il ne disposait pas d’un véritable pouvoir de direction effectif, d’une indépendance dans son travail, d’une large liberté des horaires de travail et d’une rémunération qui ne correspondait pas à celle d’un cadre supérieur.
Le jugement a quo est dès lors à confirmer en ce qu’il a décidé qu’il appartient à A d’établir que la fonction qu’il occupait auprès de son employeur ne lui conférait pas le statut de cadre faute de remplir les critères légalement prévus. »
Que doit prouver le salarié pour démontrer qu’il ne serait pas à considérer comme cadre supérieur, afin de pouvoir obtenir les avantages réservés aux salariés non cadres supérieurs ?
Est considéré comme cadre supérieur, « le salarié disposant d’un salaire nettement plus élevé que celui des salariés couverts par la convention collective ou barémisés par un autre biais, tenant compte du temps nécessaire à l’accomplissement de ses fonctions, si ce salaire est la contrepartie de l’exercice d’un véritable pouvoir de direction effectif ou dont la nature des tâches comporte une autorité bien définie, une large indépendance dans l’organisation du travail et une large liberté des horaires du travail et notamment l’absence de contraintes dans les horaires[5] ».
Selon la Cour d’appel : « Tel qu’exposé ci-avant, il incombe à l’appelant d’établir que les critères légalement prévus pour déterminer la qualité de cadre supérieur ne sont pas réunis dans son chef. Etant donné leur caractère cumulatif, les juridictions du travail sont amenées à procéder à l’examen de l’ensemble des critères légalement applicables, lors de l’examen de l’existence de la qualité de cadre supérieur dans le chef d’un salarié. »
Cette précision est intéressante, car la Cour d’appel rappelle ainsi que lorsqu’il s’agit de prouver l’absence de qualité de cadre supérieur, toutes les conditions légales doivent être analysées. A titre d’exemple, même si le salarié perçoit un salaire nettement supérieur à celui des salariés non cadres, il peut encore tenter de prouver qu’il n’est tout de même pas cadre supérieur, du fait qu’il ne serait pas libre de ses horaires de travail, ou de l’organisation de son temps de travail.
A l’inverse, si une partie tentait de prouver que le salarié était cadre supérieur, le défaut d’une seule des conditions prévues par la loi permettrait d’exclure la nécessité d’analyser les autres conditions.
Preuve d’une rémunération qui ne serait pas nettement supérieure ?
En présence d’un salaire annuel brut de plus de 200.000 EUR[6], le salarié n’avait rapporté aucune preuve établissant que cette rémunération ne serait pas nettement supérieure à celle des salariés conventionnés. Le salarié n’avait donc pas réussi à démontrer qu’il n’aurait pas rempli la première condition posée par la loi pour être considéré comme cadre supérieur.
Preuve d’une absence de pouvoir de direction ?
Après avoir constaté, sur base de l’organigramme fourni par le salarié, que ce dernier devait nécessairement disposer d’un pouvoir de direction au sein de son département, la Cour d’appel a retenu que le salarié n’avait présenté aucun élément probant contraire à cette conclusion. Le salarié n’avait donc pas rapporté la preuve qu’il n’aurait aucun pouvoir de direction.
Preuve d’une absence d’indépendance dans l’organisation du travail ?
Selon la Cour d’appel, il est de principe que l’existence d‘objectifs annuels précis, imposés par l’employeur, n’est pas à elle seule exclusive de l’existence de l’indépendance dans l’organisation de son travail par un salarié.
De même, l’existence d’un lien de subordination envers un supérieur hiérarchique n’est pas contraire à l’existence dans le chef d’un salarié d’une indépendance large dans l’exécution de son travail.
Dans l’affaire commentée, cette réalité était encore confirmée par une attestation testimoniale versée par l’employeur, selon laquelle, le salarié disposait « dans l’accomplissement de ses tâches et objectifs, de l’autorité nécessaire sur les personnes de son équipe et d’une totale autonomie dans la gestion de cette équipe et dans l’organisation du département ».
Les arguments du salarié, consistant dans l’invocation de l’existence d’un lien de subordination hiérarchique et de la détermination d’objectifs annuels précis à atteindre, ne permettaient dès lors pas d’établir l’absence d’indépendance dans l’organisation de son travail.
Preuve d’une absence de flexibilité dans les horaires de travail ?
Le salarié n’était pas non plus parvenu à rapporter la preuve qu’il aurait été soumis à un horaire fixe, imposé et contrôlé par son employeur :
Si un règlement d’horaires mobiles, prévoyant un horaire modulable avec des plages de présence fixes et d’autres flexibles, contrôlés par un système de pointeuse, avait certes été signé par le salarié, ce document n’était cependant pas daté, ce qui ne permettait donc pas au salarié de démontrer que ce système de contrôle des temps de présence par un système de pointeuse lui aurait été appliqué après sa promotion en tant que cadre supérieur.
L’attestation testimoniale d’un salarié de l’entreprise confirmait que les responsables de département / service, dont celui du salarié, étaient libres de la gestion de leur temps de travail, pouvant arriver et partir plus tôt ou plus tard à leur poste de travail.
Le salarié n’établissait pas que le système d’accès par badge, qui selon l’entreprise était requis également pour des raisons de sécurité interne, aurait été utilisé par l’entreprise pour contrôler ses horaires de travail.
Preuve que l’entreprise n’aurait pas considéré le salarié comme cadre supérieur ?
La Convention collective de travail applicable au moment du licenciement prévoyait notamment un régime plus avantageux pour les salariés auxquels cette Convention avait vocation à s’appliquer, en cas de rationalisation, de réorganisation ou de cessation d’activité, en ce sens que le délai de préavis et le montant de l’indemnité de départ étaient augmentés par rapport aux minima légalement prévus.
Dans son courrier de licenciement du 13 mars 2018, la société avait fait bénéficier le salarié du délai de préavis et du montant de l’indemnité de départ prévus par l’article 5.2 de cette Convention.
Cependant, la Cour d’appel a retenu à cet égard que « dans le présent contexte, le fait pour l’intimée de faire bénéficier des cadres supérieurs des avantages prévus par l’article 5.2 de la Convention, en cas licenciement économique, ne saurait impliquer que cette faveur équivaille à une modification du statut de cadre, respectivement à la reconnaissance du statut de salarié conventionné de l’appelant par son ancien employeur. »
Les précisions apportées par la Cour d’appel dans le cadre de cette affaire permettent de mieux appréhender les conditions concrètes et les enjeux de la classification, par l’entreprise, des salariés en tant que cadres supérieurs.
Par Ariane Claverie, Avocat à la Cour
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[1] Cour d’appel, 3ème,19 mai 2022, n°CAL-2020-00770 du rôle
[2] Un salarié « conventionné » serait un salarié soumis à la convention collective applicable.
[3] Le poste occupé en dernier lieu était « Head of Desk, senior relationship manager », chef du « desk 3 » du « Private Banking », responsable de la gestion de la clientèle privée du nord de l’Amérique latine (NOLA).
[4] Notamment Cour d’appel, 3ème, 8 juillet 2021, n°CAL-2020-00146 du rôle : « En apposant sa signature à la fin dudit contrat de travail, A a marqué son accord avec son contenu et donc sa qualité de cadre supérieur. Comme il conteste actuellement cette qualité, pour ne pas avoir eu de réel pouvoir de direction, il lui appartient de rapporter la preuve de ses dires ».
[5] Articles L. 162-8 (3) et L. 211-27 (5) du Code du travail
[6] Soulignons que, dans l’évaluation de la rémunération, sont en principe pris en compte tous les éléments du salaire, y compris les avantages en nature tels la prise en charge d’un loyer ou le remboursement de frais de transport (notamment Cour d’appel, 8ème, 04 février 2021, n°CAL-2020-00248 du rôle).