Un employeur qui ne s’acquitterait pas de ses obligations concernant le versement du salaire et la transmission des fiches de salaire s’expose à la démission avec effet immédiat du salarié lésé, ainsi qu’au paiement d’indemnités.
Il est clair que l’employeur devrait en principe régler les salaires de ses salariés chaque mois, (au plus tard, le dernier jour du mois) , et leur remettre mensuellement une fiche de salaire , sous peine d’engager sa responsabilité... mais qu’est-ce qu’une telle responsabilité implique, plus concrètement, pour l’employeur ?
Un arrêt de la Cour d’appel du 30 juin 2022 (n° CAL-2021-00654) nous permet de faire le point de la situation.
En l’espèce, le salarié avait été engagé le 5 avril 2017 en qualité de « project manager ». Dès sa prise de fonction, le salarié avait subi des retards dans le versement de ses salaires et dans la transmission de ses fiches de salaire. Le salarié alléguait également un manque de diligence de son employeur, en termes de durée de travail et de périodes de repos, qui n’auraient pas été conformes aux dispositions légales.
Le salarié avait remis sa démission avec effet immédiat le 23 mai 2019, invoquant une faute grave de son employeur.
Le tribunal du travail qui avait été saisi de cette affaire avait déclaré justifiée la démission avec effet immédiat du salarié, qui s’était vu allouer une indemnité au titre du préjudice moral subi, ainsi qu’une indemnité compensatoire de préavis.
La Cour d’appel s’est penchée sur les appels respectifs des deux parties, afin de déterminer si les manquements de l’employeur pouvaient justifier la démission du salarié1 et si ces manquements ouvraient un droit à indemnités2 .
1. Les retards dans le paiement des salaires et dans la transmission des fiches de salaire peuvent-ils être qualifiés de faute grave et ainsi justifier la démission avec effet immédiat du salarié ?
L’employeur n’a jamais contesté ses retards dans le paiement des salaires et dans la transmission des fiches de salaire, mais alléguait que ceux-ci ne concernaient, selon lui, « que quelques salaires avec seulement quelques jours de décalage ».
En arguant que ces retards n’avaient causé aucun préjudice dans le chef du salarié, l’employeur estimait que ceux-ci ne devaient pas être qualifiés de faute grave par la Cour. Si la faute grave est retenue, la démission avec effet immédiat du salarié est justifiée et l’employeur ne pourra toucher aucun dédommagement du fait du départ précoce de son salarié ; il s’agit donc là d’une question centrale pour l’employeur.
L’article L. 124-10 du Code du travail permet en effet au salarié de résilier son contrat de travail avec effet immédiat, s’il peut se prévaloir d’une faute grave commise par son employeur. Toujours selon ce même article, la faute grave doit être un manquement d’une gravité telle qu’elle ne permet pas de maintenir la relation de travail.
A défaut de faute grave de la part de l’employeur, le salarié ne peut démissionner qu’en respectant les formes prévues par l’article L. 124-4 du Code du travail et notamment, en respectant un préavis dont la durée est égale à la moitié de celle que l’employeur aurait dû respecter en cas de licenciement. Alors même qu’il aurait dû respecter la durée de préavis en démissionnant, le salarié défendeur n’était pas tenu de rester dans l’entreprise pendant cette durée si la Cour retient une faute grave de l’employeur.
En l’absence de préjudice suffisamment important pour le salarié, la Cour aurait pu considérer que les retards de l’employeur ne constituaient que des manquements sans réelle incidence sur la situation du salarié, qui n’étaient pas de nature à rendre impossible le maintien de la relation de travail, et donc conclure à l’absence de faute grave. L’employeur aurait alors pu engager la responsabilité de son salarié n’ayant pas respecté le préavis.
La Cour d’appel a cependant adopté un raisonnement différent. Après avoir constaté que ces retards étaient en réalité significatifs (le versement du salaire étant plusieurs fois intervenu avec un à deux mois de retard), elle a jugé que les manquements de l’employeur à ses obligations légales constituaient bel et bien une faute grave, peu importe que cette faute soit ou non à l’origine d’un préjudice pour le salarié.
La Cour d’appel a donc refusé de suivre le raisonnement de l’employeur, préférant souligner l’importance allouée au salaire dans la relation de travail. En effet, l’employeur doit respecter strictement l’ensemble des obligations attenantes au salaire, quand bien même celui-ci est au final versé au salarié.
Il faut donc déduire de cette décision que le fait pour l’employeur de manquer à ses obligations vis-à-vis du versement du salaire et de la transmission des fiches de salaire est constitutif d’une faute grave, sans que le salarié n’ait à apporter la preuve du préjudice subi.
2. A quelles indemnités la démission du salarié, justifiée par une faute grave de l’employeur, ouvre-t-elle droit ?
Les indemnités auxquelles peut prétendre un salarié à la suite d’une démission avec effet immédiat pour faute grave de l’employeur vont différer selon la logique retenue pour qualifier ce mode de résiliation du contrat de travail.
Du côté des juridictions françaises, ce type de démission, si elle est justifiée, sera qualifiée de prise d'acte de la rupture du contrat de travail. Ses effets seront apparentés à ceux d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, car on va considérer que les manquements de l’employeur ont empêché la poursuite du contrat de travail, au même titre qu’un licenciement injustifié. Dans ce cas, le salarié peut prétendre (i) à des dommages et intérêts, limités au barème légal applicable, en réparation de ses différents préjudices, (ii) mais aussi aux indemnités inhérentes à la rupture.
Les tribunaux luxembourgeois n’ont en revanche pas totalement adopté l’approche française, puisque ce type de résiliation ne fait pas l’objet d’un traitement distinct. En effet, le Code du travail ne fait pas la distinction entre une rupture du contrat de travail pour faute grave de l’employeur et une rupture du contrat de travail pour faute grave du salarié. L'article L124-10 du Code du travail prévoit à cet égard que la rupture du contrat de travail pour faute grave est ouverte aux deux parties.
Dans ce cadre, pendant longtemps, les salariés démissionnaires pour faute grave de l’employeur n’avaient droit qu’à des dommages et intérêts, lorsque leur démission était déclarée justifiée. Mais ils n’avaient pas droit à une indemnité de préavis, ni à une indemnité de départ.
Cependant, une décision du 8 juillet 2016 de la Cour constitutionnelle (n°123 et 124) est venue mettre fin à cette différence de traitement. Désormais, un salarié démissionnaire pour faute grave de l’employeur a droit à une indemnité compensatoire de préavis, une indemnité de départ, ainsi qu’à des dommages des intérêts, si le salarié rapporte la preuve du préjudice qu’il aurait subi.
Dans le cadre de l’arrêt du 30 juin 2022, la démission avec effet immédiat du salarié a été déclarée justifiée, car la Cour d’appel a retenu que les agissements de l'employeur relevaient d’une faute grave. Ce salarié a donc pu percevoir des dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral. Le préjudice matériel qu’il invoquait n’a pas débouché sur l’allocation d’une compensation, faute de recherches d’emploi suffisantes suite à sa démission. Le tribunal lui a aussi alloué une indemnité compensatoire de préavis. Son ancienneté était cependant insuffisante pour qu’il puisse prétendre à une indemnité de départ.
Les retards de l'employeur dans le paiement du salaire et dans la délivrance des fiches de salaire sont donc à éviter, non seulement dans l’intérêt évident du salarié, mais également dans l’intérêt de l’employeur, qui s’exposerait à des coûts complémentaires.
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1 Article L. 221-1 alinéa 2 du Code du travail
2 Article L. 125-7 (1) du Code du travail