Le reclassement professionnel a récemment fait l’objet d’un nouvelle réforme législative 1 . En effet, le dispositif faisait l’objet de nombreuses critiques de la part des différents acteurs concernés par le régime, plus particulièrement suite à la réforme de 2015 2 : suppression de la prise en compte des quorums de travailleurs handicapés, retard dans le paiement des indemnités compensatoires, défaillance du système de calcul de cette indemnité, abus en matière de reclassement interne…
Dans ce contexte, un projet de loi 3 portant modification du dispositif de reclassement professionnel interne et externe a été déposé le 28 mai 2018, avec notamment pour objectif d’optimiser les procédures en place et d’améliorer la situation financière des personnes en reclassement professionnel.
La Loi du 24 juillet 2020 issue de ce projet de loi entrera en vigueur le 1er novembre 2020. Les nouveautés suivantes seront notamment applicables à cette date :
Conditions d’éligibilité au reclassement : il n’est plus exigé qu’un salarié déclaré inapte à son poste par le médecin du travail 4 bénéficie d’une ancienneté de 10 ans et occupe un poste à risque pour pouvoir bénéficier d’un reclassement. Un salarié déclaré inapte par le médecin du travail est désormais éligible au reclassement dans les mêmes conditions qu’un salarié en incapacité d’occuper son poste suite à une maladie 5 , à savoir : s’il dispose d’une ancienneté de trois ans, ou s’il est en possession d’un certificat d’aptitude au poste de travail établi lors de l’embauche.
Les conditions relatives à l’ancienneté de 3 ans ou à l’exigence d’un certificat d’aptitude au poste délivré lors de l’embauche ne sont plus requises pour le bénéficiaire d’une pension d’invalidité qui s’est vu retirer sa pension, ou pour le salarié dont l’incapacité est liée à un accident du travail ou une maladie professionnelle, survenus pendant l’affiliation, ouvrant droit à une rente partielle ou une rente professionnelle d’attente.
Procédure simplifiée de saisine de la Commission mixte suite à une déclaration d’inaptitude : désormais, l’accord de l’employeur n’est plus requis pour la saisine de la Commission mixte concernant un salarié déclaré inapte par le médecin du travail. Si l’employeur occupe au moins 25 salariés, le médecin du travail saisit directement cette dernière aussi bien en vue d’un reclassement interne que d’un reclassement externe. Si l’employeur occupe moins de 25 salariés, le médecin du travail peut saisir la Commission mixte, avec l’accord du salarié uniquement sans que l’accord de l’employeur ne soit nécessaire. L’accord de l’employeur reste requis pour le reclassement interne du salarié 6 .
Rétablissement de la prise en compte des salariés handicapés et des salariés reclassés : l’obligation de procéder au reclassement des salariés incapables d’occuper leur dernier poste de travail 7 s’applique désormais aux deux conditions cumulatives suivantes :
- l’employeur occupe au jour de la saisine de la Commission mixte un effectif d’au moins 25 travailleurs, et ;
- l’employeur n’occupe pas le nombre de salariés bénéficiaires d’un reclassement interne ou externe dans les limites des taux relatifs à l’emploi de travailleurs handicapés prévus à l’article L. 562-3 du Code du travail.
Aux fins du respect de cette obligation, les salariés bénéficiaires d’un reclassement interne ou externe sont assimilés aux travailleurs handicapés. Il appartient à l’employeur d’apporter la preuve du respect de son obligation, ou du fait qu’il occupe moins de 25 salariés.
Ce dispositif, supprimé suite à la réforme de 2015, a été réintroduit par la Loi à la demande des employeurs qui contestaient devoir procéder à l’emploi d’un certain nombre de salariés handicapés ainsi qu’à des reclassements internes sans pouvoir faire état des salariés présents dans les effectifs de l’entreprise et bénéficiant déjà d’un reclassement professionnel. Désormais, selon les travaux parlementaires du projet de loi, il est possible qu’un salarié qui devrait bénéficier d’un reclassement ne l’obtienne pas si les taux relatifs à l’emploi de travailleurs handicapés sont dépassés, auquel cas ledit salarié serait reclassé en externe 8 .
Indemnité forfaitaire due par l’employeur en cas de reclassement externe : lorsque la Commission mixte décide le reclassement externe d’un salarié, l’employeur doit désormais verser à ce dernier une indemnité forfaitaire dont le montant varie en fonction de l’ancienneté 9 :
- un mois de salaire après une ancienneté de cinq ans au moins ;
- deux mois de salaire après une ancienneté de dix ans au moins ;
- trois mois de salaire après une ancienneté de quinze ans au moins ;
- quatre mois de salaire après une ancienneté de vingt ans et plus.
Si l’employeur occupe au moins 25 salariés, l’indemnité est due en cas de dispense de reclassement interne accordée par la Commission mixte, sur base d’un dossier motivé rapportant la preuve que le reclassement interne causerait des préjudices graves à l’entreprise. Une telle situation est rare en pratique, la notion de préjudices graves étant soumise à une stricte appréciation de la jurisprudence, et n’ayant pas été précisée par la Loi malgré les demandes en ce sens.
Si l’employeur occupe moins de 25 salariés, l’indemnité peut lui être remboursée par le Fonds pour l’emploi, à condition d’en faire la demande dans les 6 mois de la notification de la décision de reclassement externe.
La Loi précise que l’indemnité forfaitaire est calculée sur base des salaires bruts effectivement versés au salarié les 12 derniers mois qui précèdent immédiatement celui de la notification de la décision de reclassement, en tenant compte des indemnités pécuniaires de maladie ainsi que des primes et suppléments courants. Ne sont pas pris en compte les salaires pour heures supplémentaires, les gratifications et toutes indemnités pour frais accessoires exposés.
Limitation de la réduction du temps de travail accompagnant le reclassement : la réduction du temps de travail, décidée par la Commission mixte sur avis motivé du médecin du travail, ne peut plus dépasser 20% de la durée de travail contractuelle 10 (contre 50% avant la Loi). Lorsque la réduction du temps de travail peut être exceptionnellement portée à 75% de la durée de travail prévue dans le contrat de travail, un seuil de minimum de 10 heures par semaine doit s’appliquer.
Tout changement relatif au temps de travail ou au régime de travail doit désormais faire l’objet d’une demande préalable auprès de la Commission mixte.
Encadrement de la diminution de la rémunération en raison du reclassement : en cas de réduction du temps de travail décidée par la Commission mixte, l’employeur n’est pas autorisé à réduire le salaire plus que proportionnellement à la réduction du temps de travail.
Par ailleurs, lorsque la diminution de la rémunération est due à une changement de poste, le nouveau salaire devra tenir compte de l’ancienneté de service du salarié et le cas échéant, des grilles de salaire définies par la convention collective de travail.
Dans tous les cas, la nouvelle rémunération doit être fixée dans un avenant au contrat de travail.
Modalités d’attribution et de fixation de l’indemnité compensatoire due au salarié en cas de diminution de la rémunération suite au reclassement : le salarié doit désormais introduire une demande d’obtention de l’indemnité compensatoire auprès de l’Agence pour le Développement de l’Emploi (ADEM), et ce dans un délai de forclusion de 6 mois à compter de la date du début d’exécution de l’avenant au contrat de travail fixant la nouvelle rémunération.
En cas de conclusion d’un nouveau contrat de travail dans le cadre d’un reclassement externe, l’indemnité compensatoire est due au salarié à condition notamment que la durée de travail de son nouvel emploi soit au moins égale à 80% du temps de travail fixé dans le dernier contrat en vigueur avant la première décision de reclassement professionnel. En cas de pluralité de relations de travail antérieurs, les différents temps de travail sont cumulés 11 .
Concernant le montant de l’indemnité compensatoire, ce dernier était jusqu’à présent diminué des avantages financiers accordés dans l’entreprise, de sorte que le salarié reclassé n’en bénéficiait pas et restait au même niveau de revenus. Désormais, le montant de l’indemnité compensatoire est un montant fixe qui ne peut plus être automatiquement réduit suite à des augmentations du nouveau salaire payé par l’employeur (qu’il s’agisse d’augmentations ponctuelles ou linéaires, légales, règlementaires ou conventionnelles du nouveau revenu mensuel). Cette nouvelle règle s’applique à tous les bénéficiaires d’une indemnité compensatoire, y compris à ceux qui se sont vus attribuer une indemnité compensatoire avant l’entrée en vigueur de la Loi, soit avant le 1er novembre 2020. La Loi précise également qu’à partir du mois de décembre 2020, les augmentations de salaire résultant de la revalorisation de carrière suite à une convention collective de travail existante et applicable à ce moment ne seront plus portées en déduction de l’indemnité compensatoire.
Le montant de l’indemnité compensatoire correspond à la différence entre le revenu perçu avant le reclassement et le nouveau salaire du salarié reclassé 12 . La loi précise dorénavant que le revenu perçu avant le reclassement est constitué de la rémunération brute, y compris toutes les primes et suppléments courants, les gratifications, les avantages en nature exprimés en numéraire, à l’exclusion de la rémunération des heures supplémentaires et de toutes indemnités pour frais accessoires exposés.
Les décisions relatives à l’indemnité compensatoire relèvent désormais de la compétence de l’ADEM. Cette dernière contrôle, au moins une fois par an, le nouveau revenu moyen cotisable annuel payé par l’employeur au salarié en reclassement, ainsi que la rémunération des heures supplémentaires et primes pour travail de nuit ou travail posté. En fonction de l’évolution du niveau de rémunération du salarié, l’ADEM diminue l’indemnité compensatoire dans les conditions prévues par la Loi 13 .
Le Code du travail prévoit désormais que le fait d’amener frauduleusement l’ADEM à fournir des indemnités compensatoires, ou des indemnités professionnelles d’attente, qui n’étaient pas dues ou qui n’étaient dues qu’en partie, est puni d’un emprisonnement de 1 à 6 mois et/ou d’une amende de 500 à 5.000 euros. La tentative de ce délit est punie d’un emprisonnement de 8 jours à 3 mois et/ou d’une amende de 251 à 2.000 euros 14 .
Obligations de l’employeur suite à la réévaluation médicale : la Loi précise que dans le cadre de la réévaluation médicale opérée par le médecin du travail 15 , les décisions prises par la Commission mixte concernant l’adaptation du temps de travail et les modalités d’aménagement du poste de travail s’imposent à l’employeur.
Lorsque le médecin du travail constate, lors de la réévaluation, que la réduction du temps de travail accordée n’est plus justifiée, l’employeur a désormais 12 mois pour adapter le temps de travail (contre 6 mois avant la Loi), et ce par avenant au contrat de travail, sans que la nouvelle durée de travail ne puisse dépasser celle qui était prévue au contrat de travail initial.
En cas d’impossibilité d’adaptation du temps de travail, l’employeur remplit son obligation s’il propose au salarié un poste similaire correspondant à ses qualifications, assorti d’un salaire au moins équivalent, et pour lequel le salarié a été déclaré apte par le médecin du travail.
Le salarié qui se soustrait à la réévaluation médicale et qui refuse d’accepter un poste proposé par l’employeur se voit retirer le statut de salarié en reclassement professionnel par décision de la Commission mixte, saisie par le médecin du travail. La Commission mixte en informe le Directeur de l’ADEM qui décide la cessation du paiement de l’indemnité compensatoire ou de l’indemnité professionnelle d’attente.
Possibilité de demander la nullité du licenciement étendue au salariés en cours de procédure de reclassement : la possibilité ouverte aux salariés bénéficiaires d’un reclassement de demander la nullité de leur licenciement dans les conditions prévues à l’article L. 551-2 du Code du travail, est étendue aux salariés en cours de procédure de reclassement.
Missions de la Commission mixte et de l’ADEM : les décisions relatives à l’indemnité compensatoire, à l’indemnité professionnelle d’attente et à la participation au salaire des travailleurs en reclassement relèvent désormais de la compétence du directeur de l’ADEM. La Commission mixte prend quant à elle les décisions relatives au reclassement 16 interne ou externe, au statut de personne en reclassement professionnel, à l’adaptation du temps de travail, à la taxe de compensation due par l’employeur 17 lorsque ce dernier refuse de procéder au reclassement interne décidé par la Commission mixte, ainsi qu’ aux mesures de réhabilitation, de reconversion ou de formation professionnelle pour les personnes en reclassement interne.
Conclusion :
Cette nouvelle réforme du dispositif de reclassement répond aux revendications les plus urgentes des employeurs et syndicats. Toutefois, les travaux parlementaires relatifs à la Loi précisent que d’autres aspects sont amenés à être considérés et régulés par la voie législative, notamment le rôle et la mission des services de santé au travail, ou encore une meilleure coordination entre les procédures d’aptitude au travail, de reclassement professionnel et d’invalidité. Le dispositif de reclassement n’en est donc pas à sa dernière modification.
Dorothée David, Head of knowledge, Juriste spécialisée en droit social et Eloïse Hullar, Juriste, au sein de l’Etude CASTEGNARO-Ius Laboris Luxembourg
1 Loi du 24 juillet 2020 portant modification 1° du Code du travail ; 2° du Code de la sécurité sociale ; 3° de la loi du 23 juillet 2015 portant modification du Code du travail et du Code de la sécurité sociale concernant le dispositif du reclassement interne et externe, publiée au Mémorial A n°663 du 5 août 2020.
2 Loi du 23 juillet 2015 portant modification du Code du travail et du Code de la sécurité sociale concernant le dispositif du reclassement interne et externe (Mémorial A n°143 du 27 juillet 2015).
3 Projet de loi n°7309 du 28 mai 2018 portant modification 1° du Code du travail ; 2° du Code de la sécurité sociale ; 3° de la loi du 23 juillet 2015 portant modification du Code du travail et du Code de la sécurité sociale concernant le dispositif du reclassement interne et externe.
4 L’article L.326-9 tel que modifié par la Loi précise désormais que le médecin du travail constate l’inaptitude du salarié « à son dernier poste de travail et aux tâches y relatives ou régime de travail », et ce « après avoir procédé à un examen médical ».
5 Cf. Article L. 551-1 (1) du Code du travail.
6 Cf. article L. 326-9 du Code du travail tel que modifié par la Loi.
7 Cf. article L. 551-2 (1) du Code du travail tel que modifié par la Loi.
8 Cf. Rapport de la Commission du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité Sociale du 13 juillet 2020 relatif au Projet de loi n°7309 précité.
9 L’ancienneté est appréciée à la date de la notification de la décision de reclassement professionnel externe.
10 Selon l’article L.551-1 (3) du Code du travail tel que modifié par la Loi, la réduction du temps de travail décidée par la Commission mixte ne peut être supérieure à vingt pour cent du temps de travail fixé au contrat de travail en vigueur avant la première décision de reclassement professionnel.
11 Cf. article L. 551-5 du Code du travail tel que modifié par la Loi.
12 La Loi précise que l’indemnité compensatoire représente « la différence entre le revenu mensuel moyen cotisable au titre de l’assurance pension réalisé au cours des 12 mois de calendrier précédant la décision de reclassement professionnel et le nouveau revenu mensuel moyen cotisable au titre de l’assurance pension [ …]. »
13 Cf. Article L. 551-2, paragraphes 5 à 9 nouveaux du Code du travail.
14 Cf. Article L. 551-12 nouveau du Code du travail.
15 Cf. Article L.551-6 (4) du Code du travail tel que modifié par la Loi.
16 Cf. Article L.551-7 (1) du Code du travail tel que modifié par la Loi.
17 Cf. Article L.551-3 (2) du Code du travail.