Nouveautés en matière de détachement de salariés au Luxembourg

Source Paperjam
22 janvier 2021 par
vanessa Icardi Serrami

Les règles encadrant le détachement de travailleurs au Luxembourg ont été renforcées suite à l’entrée en vigueur de la Loi du 15 décembre 2020 1 transposant la Directive du 28 juin 2018 2 relative au détachement de travailleurs dans le cadre d’une prestation de services transnationale. 

Depuis l’adoption de la Directive du 16 décembre 1996 3 et de sa Directive d’exécution du 15 mai 2014 4, les travaux de l’Union Européenne (UE) poursuivent toujours le même objectif en matière de détachement : établir un juste équilibre entre d’une part, la nécessité de promouvoir la libre prestation des services et d’assurer des conditions de concurrence équitables entre les entreprises, et d’autre part, la nécessité de protéger les droits des travailleurs détachés. 

Afin de continuer à lutter contre les pratiques de dumping social et de concurrence déloyale, l’UE a adopté le 28 juin 2018 une troisième directive relative au détachement imposant de nouvelles obligations aux Etats membres, visant à renforcer la protection des salariés détachés et à leur garantir de meilleurs droits sociaux. 

C’est dans ce contexte que la Loi du 15 décembre 2020 instaure les principales nouveautés suivantes : 

Elargissement des dispositions impératives 5 à respecter : les entreprises dont le siège est établi hors du Luxembourg et qui détachent des salariés au Luxembourg dans le cadre d’une prestation de services transnationale doivent garantir aux salariés détachés les dispositions d’ordre public social applicables au Luxembourg 6, parmi lesquelles figurent désormais : 

Les conditions d’hébergement du salarié lorsque l’employeur met à disposition un logement au salarié éloigné de son lieu de travail habituel. La Loi précise à ce titre ces conditions d’hébergement ainsi que les obligations de l’employeur, du maître d’ouvrage et du donneur d’ordre, aux articles L. 291-1 à L. 291-5 nouveaux du Code du travail. 

Notamment, le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre qui contracte avec un prestataire de services, lorsqu’il est informé par écrit de l’Inspection du Travail et des Mines (ITM) que les conditions légales d’hébergement d’un salarié éloigné de son lieu de travail habituel ne sont pas respectées, est soumis aux mêmes obligations d’injonction et d’information que celles qui lui incombent pour toute autre infraction aux dispositions d’ordre public social 7, notamment en cas de chaîne de sous-traitance, à savoir : 

l'obligation d’enjoindre aussitôt l’employeur du salarié concerné de faire cesser l’infraction, par lettre recommandée avec accusé de réception ;

l'obligation d’informer sans délai l’ITM en cas d’absence de réponse écrite de l’employeur fautif dans le délai maximal de 15 jours. 

Le non-respect de ces obligations est passible d’une amende administrative d’un montant de 1.000 à 5.000 euros par salarié détaché, doublé en cas de récidive et limité à 50.000 euros 8

Les allocations ou les remboursements de dépenses en vue de couvrir les dépenses de voyage, de logement ou de nourriture encoures par le salarié éloigné de son domicile pour des raisons professionnelles. Ces dépenses se limitent aux frais encourus par les salariés du fait de leur détachement lorsqu’ils doivent se déplacer vers ou depuis leur lieu de travail habituel au territoire du Luxembourg ou lorsqu’ils sont temporairement envoyés par leur employeur de ce lieu de travail habituel vers un autre lieu de travail 9

Principe d’égalité de traitement en matière de rémunération : les entreprises détachantes doivent désormais garantir aux salariés détachés au Luxembourg une rémunération correspondant non seulement aux taux de salaires minima mais aussi à tous les éléments constitutifs du salaire fixés par une disposition légale, réglementaire, administrative, ou par une convention collective déclarée d’obligation générale ou par un accord en matière de dialogue social interprofessionnel déclaré d’obligation générale. 

Renforcement des règles en cas de détachement par une entreprise de travail intérimaire : le régime légal du détachement applicable aux entreprises de travail intérimaire s’applique désormais également aux entreprises de travail intérimaire et aux entreprises qui mettent à disposition des salariés dans le cadre d’un prêt temporaire de main-d’œuvre, établies à l’étranger, qui détachent des salariés au Luxembourg pour les besoins d’une entreprise utilisatrice établie hors du Luxembourg. 

En outre, les obligations suivantes pèsent notamment désormais sur les entreprises utilisatrices qui ont recours à un salarié détaché par une entreprise de travail intérimaire ou par une entreprise qui, dans le cadre d’un prêt temporaire de main-d’œuvre, met un salarié à disposition : 

L’entreprise utilisatrice établie ou exerçant son activité au Luxembourg doit informer l’employeur du salarié détaché (à savoir l’entreprise de travail intérimaire ou l’entreprise qui met à disposition des salariés dans le cadre d’un prêt de main-d’œuvre) des conditions applicables en matière de travail et d’emploi, notamment en matière de rémunération. La Loi précise que lorsque l’entreprise utilisatrice est établie hors du territoire du Luxembourg et exerce temporairement son activité sur le territoire national, elle informe également l’employeur, préalablement au détachement, du détachement du salarié concerné. 

L’entreprise utilisatrice doit justifier par tout moyen, en cas de contrôle par les autorités compétentes, du respect de cette obligation d’information. 

Le non-respect de ces obligations est passible d’une amende administrative d’un montant de 1.000 à 5.000 euros par salarié détaché, doublé en cas de récidive et limité à 50.000 euros 10

Elargissement des informations et des documents à communiquer à l’ITM : de nouvelles informations sont à communiquer sur la plateforme électronique de l’ITM en vue de l’obtention du badge social, en complément de celles déjà prévues par l’article L. 142-2 du Code du travail, à savoir : 

la date prévue pour la fin du détachement ;

la nature des services ;

le lieu de résidence habituelle du salarié détaché et, le cas échéant, le lieu d’hébergement du salarié détaché lorsque l’employeur met à disposition un logement au salarié éloigné de son lieu de travail habituel ; 

les données d’identification et l’adresse du maître d’ouvrage, du donneur d’ordre, de l’entreprise sous-traitante, de leurs cocontractants respectifs ainsi que de leurs représentants effectifs qui contractent avec l’employeur détachant ; 

le cas échéant, les données d’identification de l’entreprise utilisatrice et de son représentant effectif. 

Il est rappelé que le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre qui contracte avec un prestataire de services détachant des salariés au Luxembourg est tenu à une obligation de vérification visant à s’assurer que ce dernier (l’entreprise détachante) a correctement déclaré le détachement à l’ITM dès le commencement des travaux. Désormais, la Loi prévoit l’obligation supplémentaire suivante : à défaut de remise par l’entreprise détachante d’une copie de la déclaration dès le commencement du détachement, le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre doit communiquer à l’ITM, via la plateforme électronique, dans les 8 jours suivant le début du détachement, une déclaration reprenant les principales informations légales relatives au détachement 11

En outre, l’entreprise détachante doit désormais communiquer à l’ITM via la plateforme électronique, à compter du jour du commencement du détachement, les documents supplémentaires suivants : 

une copie du contrat de prestation de services conclu avec le maître d’ouvrage, le donneur d’ordre, l’entreprise sous-traitante, leurs cocontractants respectifs ainsi que, le cas échéant, une copie du contrat de mise à disposition ;

une copie du registre relatif à l’hébergement du salarié détaché ;

une copie du document reprenant les modalités de prise en charge par l’employeur des dépenses de voyage, de logement ou de nourriture, ainsi qu’une copie du document reprenant les montants de ces dépenses. 

Protection accrue des travailleurs en cas de détachement de longue durée : l’entreprise qui détache un salarié sur le territoire luxembourgeois pour une durée dépassant 12 mois est dorénavant assujettie au respect de conditions de travail et d’emploi supplémentaires. Ainsi, l’entreprise détachante est soumise à compter du 13ème mois, à toutes les dispositions législatives, réglementaires ou administratives ainsi qu’à celles résultant de conventions collectives déclarées d’obligation générale ou d’un accord en matière dialogue social interprofessionnel, applicables en matière de travail et d’emploi, à l’exception de celles relatives : 

aux procédures, formalités et conditions régissant la conclusion et la fin du contrat de travail, y compris les clauses de non-concurrence ;

aux régimes complémentaires de pension. 

Toutefois, la durée de 12 mois peut être portée à 18 mois sur notification dûment motivée de l’entreprise détachante, adressée préalablement à l’expiration du délai de 12 mois à l’ITM, via la plateforme électronique destinée à cet effet. 

A noter qu’en cas de remplacement d’un salarié détaché par un autre salarié détaché effectuant la même tâche au même endroit, la durée du détachement de 12 mois correspond à la durée cumulée des périodes de détachement de chacun des salariés détachés concernés. La notion de « même tâche au même endroit » est déterminée compte tenu, entre autres, de la nature du service à fournir, du travail à exécuter et de l’adresse ou des adresses du lieu de travail. 

Renforcement des contrôles et sanctions : pour garantir l’accessibilité des informations et faciliter les contrôles, l’ITM publie sur son site internet 12 les informations relatives aux conditions de travail et d’emploi et à la rémunération applicables aux salariés détachés au Luxembourg, afin notamment de permettre aux employeurs détachants de répondre à leurs obligations en la matière. 

Il est rappelé qu’en cas de doute sur la réalité d’un détachement ou sur le fait que l’entreprise exerce une activité réelle et substantielle dans son pays d’origine, l’ITM a le pouvoir de procéder à une évaluation globale de la situation. Or, désormais, s’il résulte de cette évaluation globale que le salarié a été détaché à tort ou frauduleusement, ce dernier est alors soumis aux conditions de travail et d’emploi résultant de toutes les dispositions législatives, réglementaires ou administratives, ainsi que des conventions collectives déclarées d’obligation générale ou d’un accord en matière de dialogue social interprofessionnel déclaré d’obligation générale 13 applicables. 

Par ailleurs, la sanction de cessation des travaux, qui était jusqu’alors réservée aux cas d’infractions graves aux règles relatives au détachement, est désormais encourue par l’entreprise détachante qui se voit notifier une amende pour infraction à ses obligations en application de l’article L. 143-2 (1) à (2bis) du Code du travail, lorsque cette entreprise ne s’est pas acquittée du paiement de l’amende dans le délai fixé par la décision directoriale. 

Dans un souci de protection toujours plus accru des salariés détachés, il est enfin précisé qu’une sanction prononcée ne dispense pas l’employeur qui détache temporairement un salarié au Luxembourg de garantir à ce dernier les conditions applicables en matière de travail et d’emploi ainsi qu’en matière de rémunération. 

Exception pour le secteur du transport routier : en raison de la nature hautement mobile du travail dans le transport routier international et de la nécessité d’y appliquer des règles spécifiques, la Loi précise que les salariés du secteur du transport routier international temporairement détachés au Luxembourg restent soumis aux anciennes dispositions du Code du travail relatives au détachement, dans leur rédaction antérieure à la Loi du 15 décembre 2020. 

Toutefois, suite à l’adoption de la réforme de la législation européenne relative au transport routier dite « Paquet Mobilité », de nouvelles dispositions particulières à ce secteur en matière de détachement devraient ultérieurement être adoptées. En effet, la Directive relative au détachement de conducteurs 14 est entrée en vigueur le 1er août 2020, les Etats membres devant procéder à sa transposition en droit interne au plus tard le 2 février 2022 15

Conclusion : 

Outre les nouvelles dispositions applicables avec l’entrée en vigueur de la Loi du 15 décembre 2020, le détachement au Luxembourg devrait encore faire l’objet de nouveaux changements. En effet, le projet de loi n°7319 16 en cours de travaux parlementaires prévoit que les obligations déclaratives en matière de détachement ne seraient plus applicables pour les déplacements de courte durée suivants (hors domaine de la construction) : 

salariés qualifiés ou spécialisés de l’entreprise établie à l’étranger et se rendant au Luxembourg pour effectuer des travaux d’entretien, de maintenance ou de réparation sur des machines, pour une durée de travaux n’excédant pas 5 jours de calendrier par mois ; 

salariés de l’entreprise établie à l’étranger et se rendant au Luxembourg en vue d’y exercer des activités en tant que formateur, conférencier ou orateur, ou bien en vue d’assister à des formations, à des conférences ou à des réunions de travail, à condition que ces activités ne dépassent pas 5 jours de calendrier par mois. 

Dorothée David, Head of knowledge, Juriste spécialisée en droit social et Eloïse Hullar, Juriste, au sein de l’Etude CASTEGNARO-Ius Laboris Luxembourg


1 Loi du 15 décembre 2020 portant modification : 1° du Code du travail en vue de transposer la directive (UE) 2018/957 du Parlement européen et du Conseil du 28 juin 2018 modifiant la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services […], publiée au Mémorial A n°1024 du 18 décembre 2020 et entrée en vigueur le 22 décembre 2020.

2 Directive (UE) 2018/957 du Parlement européen et du Conseil du 28 juin 2018 modifiant la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services.

3 Directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services.

4 Directive 2014/67/UE du Parlement Européen et du Conseil du 15 mai 2014 relative à l'exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services et modifiant le règlement (UE) n °1024/2012 concernant la coopération administrative par l'intermédiaire du système d'information du marché intérieur ( «règlement IMI» ).

5 Les dispositions d’ordre public applicables à tout salarié exerçant une activité sur le territoire Luxembourgeois sont listées à l’article L.010-1 du Code du travail tel que modifié par la Loi, et concernent entre autres : la rémunération, la durée du travail, le congé payé, les jours fériés légaux, etc.

6 L’article L.141-1 (1) du Code du travail tel que modifié par la Loi exclut expressément de l’ordre public social applicable aux salariés détachés sur le territoire Luxembourgeois les points 1, 8 et 11 de l’art. L. 010-1 du Code du travail, à l’exception du point 11 relatif aux conventions collectives de travail, qui est également applicable aux entreprises de travail intérimaire établies hors du Luxembourg et détachant des salariés sur le territoire national.

7 Cf. article L. 291-2 (4) nouveau et article L. 281-1 (2) et (3) du Code du travail

8 Cf. article L. 143-2 (1) du Code du travail.

9 Cf. article L. 141-3 (2) nouveau du Code du travail.

10 Cf. article L.143-2 (2bis) nouveau du Code du travail.

11 Cf. article L.142-2 (2) du Code du travail tel que modifié par la Loi.

12 Cf. article L. 141-3bis nouveau du Code du travail.

13 Cf. article L. 141-1 (5) du Code du travail tel que modifié par la Loi.

14 Directive (UE) 2020/1057 du Parlement et du Conseil du 15 juillet 2020 établissant des règles spécifiques en ce qui concerne la directive 96/71/CE et la directive 2014/67/UE pour le détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier et modifiant la directive 2006/22/CE quant aux exigences en matière de contrôle et le règlement (UE) n° 1024/2012.

15 Cf. notamment notre Newsflash du 24 septembre 2020 « Nouvelle législation sociale européenne relative au transport routier », publié sur Castegnaro.lu.

16 Projet de loi n°7319 portant modification : 1. du Code du travail ; 2. de la loi du 21 décembre 2007 portant réforme de l’Inspection du travail et des mines. Le Projet de loi a été déposé le 26 juin 2018.