L’avocat raconte-t-il des salades?

Par Meryem Akboga, Associate ‒ Étude Sorel & Martinez
15 mars 2022 par
vanessa Icardi Serrami

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du jury. Toi, public.

Je dois commencer par un aveu. La première lecture de mon sujet m’a laissé pour le moins perplexe. Ce n’est pas vraiment le terme avocat ici qui m’a posé problème NON ! ÇA! les avocats, je connais !

C’est plutôt le reste de la phrase... Raconter des salades ?!

Par acquit de conscience, mais aussi pour faire un peu d’histoire, cette expression date du XIXe siècle. Il s’agit d’une métaphore. On compare donc une salade, soit un assortiment d’ingrédients se mariant bien entre eux, à un ensemble de ragots qui, accompagnés d’un peu d’humour et de fausses excuses, peuvent passer pour vrais.

Depuis quelques années maintenant, la salade a le vent en poupe, et pour cause! Elle est fraîche, légère et facile à digérer.

Toutefois, ce qu’on lui reproche parfois c’est d’être un peu trop assaisonnée donc de ne point montrer toute la vérité.

À l’instar des salades, nous avons donc aussi été condamnés !  Persécutés ! accablés! Je dirais même blâmés!

Et quand je dis nous, je parle bien évidemment des avocats.

Condamnés à la méfiance du peuple, aux a priori, aux jugements, aux fausses idées, même la Conférence du Jeune Barreau se demande si les avocats sont des mythos, en d’autres termes, s’ils racontent des pipos.

Pire encore ! La littérature nous dépeint comme étant un personnage sombre et avide, ainsi en est-il de Clamence qui dans La Chute de Camus est l’archétype de l’homme imbu de lui-même, vaniteux, menteur et futile.

Les partisans de cette vision du rôle de l’avocat considèrent donc que l’avocat aurait non seulement la possibilité de mentir, mais qu’il en a même le devoir. Croyez-moi, la réalité est bien plus subtile que ces caricatures.

Ceux qui connaissent les avocats, et nous sommes nombreux dans cette
salle, savent notre modestie, mais aussi notre rigueur, notre détermination et surtout notre sérieux.

Ils le savent, nous travaillons sans relâche ! Jours et nuits ! Inlassablement! Nous sommes tout simplement des CRACKS ! DES BÊTES!

Nous, nous aimons le droit, il ne nous le rend pas toujours, mais nous l’aimons et nous aimons par-dessus tout le contrat. Ainsi, il nous accompagne en toutes circonstances… et tout restant dans le registre du contrat je vais te prouver à toi public que dans cette assemblée, nous sommes tous des menteurs, et je vais te le prouver en une seule PHRASE, MAIS UNE PHRASE CLÉ:

« J’ai lu et j’accepte les conditions générales. »

La Romaine vous a plu? Place à la César !

Prenons le film La  vie  est  belle. Le tableau que dépeint Roberto Benigni, où un père et son fils survivent aux camps nazis  montre et démontre très bien que face à certains ennemis raconter des sa surprenant qu’on a pourtant passé l’année en travaillant!

On dit à ses amis quand on est en retard qu’on ne va pas tarder à arriver au bar, mais en vérité on est encore en peignoir…

Au final qu’a-t-on de différent avec un avocat ? L’avocat a-t-il fait le choix de mettre ses salades au service du droit ?

Entre avocats, on se connaît, on se sent, on sait qu’on ne se comprend que quand on se ment…

Mais je vous vois arriver… ne vous méprenez  pas! Raconter  des  salades demande beaucoup de courage, Montaigne disait même que l’avocat est un menteur à gages… Et comme j’ai commencé mon discours par un aveu, je vais continuer sur ma lancée en vous faisant une confidence…

Sachez, cher auditoire, qu’en réalité c’est le mensonge qui est au service de l’avocat et non l’inverse. Et si vous n’êtes pas convaincu(e), laissez-moi vous faire une démonstration sur un exemple concret qui, j’en suis sûre, parlera à tout le monde.


Vous connaissez tous Jawad Bendaoud, cet homme plus  connu sous le nom de Jawad le logeur de Daesh, qui a été jugé en 2018, pour
« recel de malfaiteurs », après avoir mis un appartement à la disposition de deux auteurs des attentats du 13 novembre.

D’aucuns le voient bête comme un chou, un véritable monstre! Une personne sans âme et sans cœur !

Mais puisque mon métier est d’assaisonner la vérité, eh bien permettez-moi d’être aux petits oignons, d’ajouter mon sel fin et mon poivre du moulin à cette histoire pour vous montrer que les apparences sont parfois trompeuses et que les carottes ne sont pas cuites pour autant!

Accrochez-vous bien, chère assemblée, cette démonstration va me demander beaucoup de courage.

Ouvre les yeux, public! Jawad n’est autre qu’une cerise sur un gâteau !

C’est un magnat de l’immobilier, qui s’est récemment tourné vers le secteur hôtelier et qui s’est laissé dépasser par les événements.

Il est vrai que l’homme a sans doute manqué de vigilance dans le choix de ses hôtes et que son projet manquait de clarté.

Voyez-vous, chez jury, si Jawad a bien une passion, c’est celle d’aider les autres !

Riche propriétaire immobilier, il a pris conscience bien avant nous tous de la crise du logement  et des difficultés que cela pouvait engendrer pour bon nombre de nos concitoyens.

Et face à l’inertie des pouvoirs publics, lui est alors venue une idée…

Celle de proposer aux plus démunis des logements confortables où ils pourraient s’établir pour quelques jours, voire quelques nuits.

Coluche avait ses Restos du cœur, Jawad voulait ses logements de la Dèche !
 
Vous l’aurez compris, il ne s’agit aucunement de vous raconter des salades, mais bel et bien de métamorphoser une obscurité en transparence ou, au contraire, de tamiser les lumières un peu trop révélatrices…

Alors ! Aujourd’hui! Du haut de mon mètre soixante, j’affirme avec FERMETÉ que NON, les avocats ne racontent pas de salades, et que nous devons nous battre contre cet abus!

Alors, face à cette injustice, face à cette vision totalement faussée de l’avocat, face à ce déclin, il faut réagir de toute urgence !

Notre ordre est au bord d’un gouffre et seuls nous-mêmes pouvons le sauver !

Nous, avocats et partisan du contrat, décrétons que le  temps du sursaut est arrivé et face aux forces obscures des haters, nous l’annonçons d’ores et déjà: NOUS NE RENONCERONS PAS! NOUS NE CÉDERONS PAS! NOUS NE NOUS  RETIRERONS  PAS!  Il  est temps que chacun d’entre nous assume ses actes !

Cessez d’écouter l’opinion publique qui frappe à la porte de cette salle !

Ne vous  cachez  plus  derrière vos robes ! Allons,  mes chers confrères ! Oublions la summa divisio! Oublions nos différences ! Et, quelles que soient nos écoles doctrinales, quelles que soient nos croyances, nous devons nous unir pour cette cause!  

C’est le moment pour notre ordre, pour notre réputation, pour l’honneur de tous les avocats depuis Cicéron jusqu’à Lutgen de réassaisonner notre image!

Je compte ici une centaine de personnes, en présentiel ou à distance, étudiant(e)s, avocats, ministre, magistrats, professeurs, fondateur! TOUS! Réuni(e)s pour organiser notre riposte.

Je peux sentir ta détermination dans ta posture, la résolution dans ton regard et toute la force de ta conviction !

Arrêtons de mélanger les choux et les carottes et gardons à l’esprit que la connaissance c’est savoir qu’une tomate est un fruit, mais la sagesse c’est de ne pas la mettre dans une salade de fruits.

Alors, finalement, que nos salades soient vosgiennes, luxembourgeoises ou niçoises, nous racontons des salades pour envoyer les coupables au bagne, nous aimons notre travail et c’est comme ça que l’on gagne !

Concours national d’éloquence de Luxembourg, le 29 juin 2021.

 Article extrait de LawyersNow, n° 11 (septembre 2021)