Par Me Sébastien RIMLINGER, Avocat à la Cour, DSM Avocats à la Cour
La période qui va succéder à la pandémie de COVID-19 va se traduire en Europe, comme dans le reste du monde par une accélération des restructurations des sociétés. Ces opérations de restructuration peuvent prendre différentes formes en fonction des objectifs poursuivis. L’une de ces techniques consiste à fusionner des sociétés luxembourgeoises et étrangères.
La notion de fusion transfrontalière et les raisons justifiant ce type d’opération
Une fusion peut prendre deux formes distinctes :
1) elle peut consister pour une société à absorber une autre société, entraînant la dissolution sans liquidation de la société absorbée et la transmission universelle de son patrimoine à la société absorbante, on parle de fusion par absorption soit
2) les sociétés fusionnantes vont transférer à une nouvelle société qu’elles constituent, par suite de leur dissolution sans liquidation, l’ensemble de leur patrimoine, on parle alors de fusion par constitution de nouvelle société.
Même si la majorité des fusions ne concerne que des sociétés luxembourgeoises, certaines fusions concernent à la fois des sociétés luxembourgeoises et étrangères, ces opérations sont alors qualifiées de de fusions transfrontalières.
Les raisons pouvant justifier ce type d’opération sont diverses et peuvent notamment avoir pour origine 1) une volonté de concentration afin de lutter contre la concurrence nationale et internationale, 2) une volonté de réorganiser et de simplifier la structure d’un groupe composé de sociétés de différentes nationalités ou encore 3) le souhait de réduire les coûts des sociétés fusionnantes par la mise en place d’une synergie commune.
Le cadre juridique
La pratique des fusions transfrontalières au Grand-Duché de Luxembourg est ancienne, même si pendant longtemps celle-ci n’a bénéficié d’aucun cadre juridique spécifique.
La directive 2005/56/CE du 26 octobre 2005 sur les fusions transfrontalières des sociétés de capitaux (ci-après la « Directive ») a comblé ce vide juridique en créant un régime précis des fusions transfrontalières. La transposition de la Directive en droit luxembourgeois a été réalisée en deux étapes : la première dans le cadre de deux lois du 23 mars 2007 et la seconde dans le cadre de la loi du 10 juin 2009. La transposition de la Directive en droit interne constitue la reconnaissance en droit luxembourgeois des fusions entre sociétés des Etats membres de l’Union Européenne mais également la reconnaissance des fusions avec des sociétés situées dans des pays tiers. Notons que le législateur luxembourgeois, dans le cadre d’une approche libérale du droit des sociétés, a étendu les règles applicables en matière de fusion transfrontalière à toutes les sociétés commerciales, ainsi qu’au groupement d’intérêt économique.
Les fusions transfrontalières sont désormais régies par les articles 1020-1 et suivants de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales (ci-après la « Loi de 1915 »).
Condition préalable aux fusions
La Loi de 1915 autorise la fusion, que la société luxembourgeoise soit la société absorbée (fusion-émigration) ou qu’elle soit la société absorbante (fusion-immigration), pour autant que le droit national de la société ou le groupement d’intérêt économique de droit étranger ne s’y oppose pas et que cette dernière ou ce dernier se conforme aux dispositions et aux formalités du droit national dont elle ou il relève (article 1020-1 p3 de la Loi de 1915). La condition préalable est donc l’absence d’opposition du droit étranger.
Au niveau européen, la transcription de la Directive dans l’autre état membre est suffisante pour marquer l’absence d’opposition.
Il est à noter que la question de l’opposition ne concerne donc que les fusions internationales, c’est-à-dire la fusion entre une société luxembourgeoise et une société établie hors Union Européenne.
Le régime des fusions entre sociétés européennes
Projet commun de fusion
Les organes d’administration ou de direction de chacune des sociétés souhaitant participer à la fusion devront établir un projet commun de fusion.
Ce document ne liera pas les sociétés concernées mais a pour objectif d’informer les tiers et les associés. La fusion ne sera valablement prise que par décision des assemblées générales des associés des sociétés fusionnantes.
Le projet de fusion prendra la forme d’un acte sous seing privé ou d’un acte notarié.
Le projet commun de fusion devra contenir les mentions listées à l’article 1021-1 de la Loi de 1915. Certaines de ces mentions seront exclues du projet commun de fusion aux termes de l’article 1023-1 de la Loi de 1915.
Le projet de fusion doit être publié au Recueil Électronique des Sociétés et Associations au moins un mois avant l’assemblée générale des associés des sociétés fusionnantes appelées à se prononcer sur la fusion (article 1021-2 de la Loi de 1915).
Documents supports à la fusion
Dans un souci de fournir une information complète aux associés, l’article 1021-7 de la Loi de 1915 prévoit qu’au moins un mois avant la tenue de l’assemblée générale, appelée à se prononcer sur le projet commun de fusion, les documents suivants soient consultables par les associés au siège social de la société : 1) le projet commun de fusion, 2) les comptes annuels ainsi que les rapports de gestion des trois derniers exercices des sociétés qui fusionnent, 3) un état comptable intérimaire ne datant pas plus de trois mois par rapport au projet de fusion, 4) le rapport de l’expert indépendant. L’article 1021-5 de la Loi de 1915 prévoit également de mettre à disposition des associés et des représentants du personnel ou, s’il n’en existe pas, des salariés eux-mêmes, un rapport écrit par les organes d’administration ou de direction de chacune des sociétés qui fusionnent expliquant et justifiant du point de vue juridique et économique le projet commun de fusion.
Les associés sont également en droit d’obtenir copie intégrale ou, s’ils le désirent, partielle de ces documents sans frais et sur simple demande (article 1021-7 (3) de la Loi de 1915).
Une société est dispensée de l’obligation de mettre à disposition les documents à son siège social si, pendant une période continue commençant un mois au moins avant le jour fixé pour la réunion de l’assemblée générale appelée à se prononcer sur le projet commun de fusion et ne s’achevant pas avant la fin de cette assemblée, elle les met à disposition sur son site internet (article 1021-7 (4) de la Loi de 1915).
Certaines exemptions relatives aux documents de support s’appliquent, ainsi les associés peuvent renoncer au rapport du réviseur d’entreprises et dans certains cas au rapport écrit des organes d’administration (articles 1021-5 et 1021-6 de la Loi de 1915).
Les assemblées générales des associés
Les associés de chacune des sociétés fusionnantes devront, dans le cadre d’une assemblée générale extraordinaire tenue devant le notaire décider de la fusion (article 1021-12 de la loi de 1915). Le vote des associés requiert les conditions de quorum de présence et de majorité prévues pour les modifications des statuts. L’article 1021-3 de la loi de 1915 prévoit cependant un certain nombre de cas nécessitant une majorité renforcée.
Contrôle de la fusion
Le notaire doit vérifier et attester l’existence et la légalité des actes et formalités incombant à la société auprès de laquelle il instrumente. Il délivrera un certificat attestant de l’accomplissement correct des actes et des formalités préalables à la fusion en ce qui concerne la société luxembourgeoise.
Dans certains pays européens, c’est le tribunal de commerce qui émettra ce certificat.
Effets de la fusion
Conformément à la Directive, la date d’effet juridique de la fusion dans le cadre d’une fusion absorption est déterminée par la loi de la société absorbante.
Dans le cadre d’une fusion par constitution d’une nouvelle société, la date d’effet juridique ne peut être antérieure à la date d’immatriculation.
L’effet comptable d’une fusion peut différer de la date de l’effet juridique d’une fusion.
Les contrats de travail seront transférés à la société absorbante à la date de prise d’effet de la fusion (article 1021-17 de la loi de 1915).
Le régime des fusions internationales
La première condition à vérifier dans le cadre des fusions internationales est que le droit national de la société de droit étranger ne s’oppose pas à ce type de fusion.
Le régime applicable aux fusions internationales est en principe identique au régime des fusions entre sociétés européennes. Certaines différences peuvent cependant apparaître suivant la législation applicable à la société étrangère. Ainsi, la Loi de 1915 doit être interprétée en application de la lex societatis de la société de droit étranger, l’article 1021-3 de la Loi de 1915 qui impose la tenue des assemblées générales de chacune des sociétés qui fusionnent doit être interprétée comme désignant l’organe chargé d’autoriser la fusion en droit étranger même s’il ne s’agit pas d‘une assemblée générale.
A titre de conclusion, il est possible de prédire que le nombre des fusions transfrontalières va continuer de croitre dans les prochaines années à la fois pour des raisons liées à la conjoncture économique mais également en raison d’une volonté des autorités européennes. Cette volonté européenne s’est notamment traduite par l’entrée en vigueur d’une nouvelle directive européenne n°2019/212 du 27 novembre 2019 non encore transposée au Luxembourg portant sur les transformations, fusions et scissions transfrontalières.