D’aucuns pensaient le recours à la Commission des Loyers comme désuète. Or, face à la crise actuelle que rencontrent l’ensemble des pays et à une situation ayant vocation à aller de Charybde en Scylla, ne faut-il pas s’attendre à une recrudescence de son usage dans les prochains mois ? Certains principes se doivent donc d’être rappelés ici.
Conformément à l’article 1134 du Code civil, « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. »
Autrement dit, une partie à un contrat civil ne saurait y déroger unilatéralement sans l’accord de l’autre.
En matière de bail d’habitation, un très grand contentieux existe de manière générale entre bailleurs et locataires quant à la fixation du prix du bail.
Pour beaucoup de locataires, le prix du bail tel que fixé initialement dans leur contrat est trop élevé.
A contrario, pour bon nombre de bailleurs, le prix du bail tel que fixé initialement (concerne surtout les baux conclus il y a plusieurs années déjà) est trop faible compte tenu de l’augmentation des prix sur le marché immobilier luxembourgeois.
Or, en cette période de crise les discussions ont vocation à se multiplier.
Sur quelle base légale les parties liées à un contrat de bail peuvent-elles s’appuyer?
Si les locataires et dans une moindre mesure les bailleurs ont connaissance de l’article 8 de la loi du 21 septembre sur le bail à usage d’habitation, peu savent que la même loi prévoit un article 35 au terme duquel :
« Les loyers convenus avant l’entrée en vigueur de la loi ne peuvent être adaptés au niveau résultant de l’application de la présente loi qu’après une notification écrite au locataire.
Le locataire occupant un logement en vertu d’un contrat de bail conclu avant l’entrée en vigueur de la présente loi dispose d’un délai de réflexion de trois mois, à partir de la demande en augmentation du loyer du bailleur en application des dispositions introduites par la présente loi, pour dénoncer le contrat de bail. S’il dénonce le contrat de bail, aucune adaptation du loyer ne peut lui être imposée.
Lorsque le locataire ne dénonce pas le contrat de bail et si l’augmentation du loyer demandée dépasse 10 %, la hausse s’applique par tiers annuels. »
La question qui se pose est celle de savoir si l’article 35 a vocation à s’appliquer uniquement à la première demande d’augmentation de loyer d’un bailleur ou également à celles subséquentes.
Dans une décision du 12 décembre 2019 inscrite sous le numéro 3804/19, le juge de paix de Luxembourg a estimé que :
« Le tribunal constate, notamment à la lecture des travaux parlementaires, que l’article 35 est conçu comme disposition transitoire. Il s’agit d’une mesure exceptionnelle et dérogatoire aux règles ayant prévalu, tant avant qu’après la loi de 2006, ne permettant pas au bailleur de procéder à une augmentation unilatérale de loyer.
Une mesure transitoire est une mesure destinée à permettre une adaptation unique d’une situation à la nouvelle législation.
Il n’était pas dans l’intention du législateur en 2006, de mettre à titre indéfini les anciens locataires dans une situation moins favorable que celle dont ils bénéficiaient jusqu’ici et que celle dont bénéficient les nouveaux locataires, en autorisation des augmentations successives de loyer à l’initiative du bailleur.
Il ressort du libellé des paragraphes 1 et 2 de cet article (« adaptation au niveau résultant de l’application de la présente loi » et « Demande en augmentation du loyer du bailleur en application des dispositions introduites par la présente loi ») que ne sont visées que les demandes en augmentation du loyer du bailleur qui trouvent leur origine dans la modification des critères légaux de fixation du loyer.
Or, ces critères étaient connus lors de l’augmentation intervenue en 2015.
En outre, puisqu’en l’espèce, le loyer a été pour la dernière fois augmenté en 2015, il ne s’agit plus d’un « loyer convenu avant l’entrée en vigueur de la loi » de 2006.
(…) »
La décision sus- mentionnée serait alors à comprendre en ce sens que s’il y a eu une précédente demande d’augmentation du loyer, alors les parties ne peuvent être fondées dans une demande basée sur l’article 35.
A contrario, si les parties n’ont encore jamais remis en cause le montant initialement prévu au titre du loyer et que la bail est ancien, c’est-à-dire a pris ses effets avant l’entrée en vigueur de la loi du 21 septembre 2006, rien ne s’opposerait à ce qu’il soit recouru au prédit article 35.
Face à une demande en augmentation du loyer, le Preneur disposerait alors d’un délai de trois mois soit pour dénoncer le contrat de bail, soit pour pratiquer l’augmentation de loyer, qui lorsqu’elle dépasse dix pourcents du montant initial devra se faire par tiers annuels.
Les juges reconnaissent l’article 35 de la loi comme étant d’application stricte : il n’existe pas d’autres choix que ceux de mettre fin aux relations entre parties en dénonçant le contrat ou d’accepter implicitement la hausse du loyer en gardant le silence et à défaut de dénonciation du contrat.
A côté de cela, la loi du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation et modifiant certaines dispositions du Code civil précise, en ses articles 8 et suivants, la procédure applicable pour la partie qui entend demander une augmentation ou une réduction du loyer.
Ladite procédure est à respecter scrupuleusement sous peine d’irrecevabilité de la demande.
Encore, celle-ci fait mention de certains délais de procédure.
Ainsi :
« La partie qui se croira fondée en vertu des dispositions de la présente loi à demander une augmentation ou une réduction du loyer devra d’abord notifier son intention à l’autre parties par écrit, sous peine d’irrecevabilité de la requête devant la commission.
Si un accord n’a pu être obtenu endéans un mois, le réclamant pourra adresser une requête au collège des bourgmestre et échevins de la commune du lieu de situation de l’immeuble.
(…) Chaque requête précisera l’objet de la demande. Elle ne sera pas recevable pendant les six premiers mois du bail.
Les parties seront convoquées par la commission par lettre recommandée avec accusé de réception (…). La convocation sera faite au moins à huitaine. Si une partie n’est pas touchée personnellement, la commission des loyers reconvoquera les parties à quinzaine, le tout sous peine de nullité. »
« La commission est tenue de rendre la décision dans un délai de trois mois à partir de la transmission de la requête à la commission. Si aucune décision n’est rendue endéans ce délai, le requérant pourra saisir directement le juge de paix. »
Quid desdits délais pendant la pandémie Covid-19 ?
Le règlement grand-ducal du 25 mars 2020 portant suspension des délais en matière juridictionnelle et adaptation temporaire de certaines autres modalités procédurales énonce en son article 1er : « les délais prescrits dans les procédures devant les juridictions judiciaires, administratives, militaires et constitutionnelle sont suspendus. »
La procédure telle que prévue par les articles 8 et suivants de la loi du 21 septembre 2006 n’est pas visée par cette suspension. Il est seulement question de procédures judiciaires.
Aussi, la procédure devant la Commission des Loyers n’étant pas une procédure judiciaire, elle n’a pas à être suspendue.
En ce qui concerne le délai d’un mois pour saisir la Commission tout comme celui des six premiers mois de loyers pendant lesquels il n’est pas possible de saisir ladite Commission, il s’agit d’un minima : endéans lesdits délais, il n’est pas possible de poser d’acte positif, c’est-à-dire que ce n’est qu’après les six premiers mois du contrat de bail qu’il est possible de solliciter un changement du montant du loyer et ce n’est qu’après avoir attendu un mois pour voir si la proposition d’augmentation ou de diminution du loyer qu’il est possible de saisir la Commission des loyers.
Il en est tout autre du délai endéans lequel la Commission devra convoquer les parties. En effet, suivant le texte stricto sensu de l’article 8 de la loi du 21 septembre 2006, la convocation sera faite au moins à huitaine. Si une partie n’est pas touchée personnellement, la Commission des loyers reconvoquera les parties à quinzaine, le tout sous peine de nullité.
C’est là un délai strict. Il en est de même, en ce qui concerne le délai endéans lequel la Commission devra rendre son avis. En cas d’irrespect desdits délais, le processus devant la Commission devrait être recommencé.
Or, compte tenu de la situation (état de crise – confinement), il est impensable que la Commission des loyers tienne séance.
Il conviendrait au même titre que pour les déguerpissements qu’il soit spécifié que la suspension concerne également la situation de facto devant la Commission des loyers. En l’absence d’un tel règlement grand-ducal, il ne peut qu’être conseillé aux parties de suspendre leur projet de discussion quant au quantum du loyer, au moins jusqu’à connaître d’une date de sortie de l’état de crise afin d’éviter de devoir réintroduire leur demande.
L’autre question qui se pose est celle de savoir quelle est la limite du quantum du loyer.
Au terme de l’article 3 de la loi du 21 septembre 2006, le principe est celui de la limite du capital investi.
Lorsque le bailleur est en mesure de présenter les documents relatifs à ses investissements, au montant du terrain, alors ces documents serviront de justificatifs.
Toutefois, il est largement reconnu par la doctrine, que si le bailleur ne dispose plus des pièces documentant la réalité du capital investi dans la construction et le cas échéant, dans les travaux d’amélioration, et s’il y a désaccord entre le bailleur et le locataire sur le montant du loyer, tant le locataire que le bailleur peuvent prendre l’initiative de charger un expert spécialisé en la matière, soit un expert assermenté en bâtiment, de l’évaluation du capital investi dans le logement. Dans une telle hypothèse, l’expert doit alors procéder à l’évaluation du capital investi, tout en réévaluant et en y appliquant le cas échéant, une décote et ce conformément aux dispositions de l’article 3, § 2 et 3 de la loi.
Du fait de l’estimation par l’expert judiciaire, tant que celle-ci prend en compte les mêmes éléments que ceux servant à déterminer le capital investi, il y a alors présomption simple, la preuve contraire restant possible.
Il est reconnu que non seulement l’évaluation de l’expert, mais également la présomption peuvent être contestées par chacune des parties. Dans une telle hypothèse, puisque le bailleur a créé une présomption simple du fait de l’estimation de l’expert, le locataire qui alors n’aurait pas été d’accord avec une telle augmentation, aurait eu la charge de la preuve contraire.
En l’absence de toute présomption, le juge aura tendance comme dans la décision du 16 janvier 2020 portant la référence 170/20 à voir nommer un expert avant tout autre progrès en cause. Dans ce cas-ci c’est le preneur qui estimait que son loyer était trop élevé sans en justifier la raison.