A l’heure où la parole des victimes de violences sexuelles se libèrent en créant des précédents médiatiques retentissants (affaire Weinstein, #Metoo, Balance ton porc…), la Cour d’appel de Luxembourg[1] a récemment statué sur les obligations pesant sur l’entreprise[2] en matière de harcèlement sexuel en son sein. C’est ici l’occasion de rappeler les obligations de l’entreprise à ce sujet.
1. A cet égard, que prévoit le Code du travail ?
Selon l’article L. 245-2 du Code du travail, « Constitue un harcèlement sexuel à l’occasion des relations de travail au sens du présent chapitre tout comportement à connotation sexuelle ou tout autre comportement fondé sur le sexe dont celui qui s’en rend coupable sait ou devrait savoir qu’il affecte la dignité d’une personne, lorsqu’une des conditions suivantes est remplie:
1. le comportement est non désiré, intempestif, abusif et blessant pour la personne qui en fait l’objet;
2. le fait qu’une personne refuse ou accepte un tel comportement de la part de l’employeur, d’un salarié, d’un client ou d’un fournisseur est utilisé explicitement ou implicitement comme base d’une décision affectant les droits de cette personne en matière de formation professionnelle, d’emploi, de maintien de l’emploi, de promotion, de salaire ou de toute autre décision relative à l’emploi;
3. un tel comportement crée un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant à l’égard de la personne qui en fait l’objet .
Le comportement visé peut être physique, verbal ou non verbal. L’élément intentionnel du comportement est présumé. »
Le Code du travail prévoit dans le chef de l’employeur une triple obligation :
– L’obligation de prendre toutes les mesures de prévention nécessaires pour assurer la protection de la dignité de toute personne à l’occasion des relations de travail (ces mesures doivent comprendre des mesures d’information).
– L’obligation de s’abstenir de tout fait de harcèlement sexuel à l’occasion des relations de travail. Aussi, l’employeur est responsable envers ses salariés tant des faits de harcèlement auxquels il a pu se livrer que de sa passivité face à des faits commis par ses salariés, ses clients ou encore fournisseurs.
– L’obligation de veiller à ce que tout harcèlement sexuel dont il a connaissance cesse immédiatement. En aucun cas, les mesures destinées à mettre fin au harcèlement sexuel ne peuvent être prises au détriment de la victime du harcèlement[3].
En pratique, l’employeur informé d’un cas de harcèlement sexuel doit procéder à une enquête interne, entendre la présumée victime et le présumé harceleur, ce dans la plus grande discrétion compte-tenu de l’impact considérable que de telles accusations peuvent avoir sur la réputation d’une personne accusée à tort.
A noter que pour le salarié plaignant, il ne sera en principe pas nécessaire de rapporter la preuve d’agissements répétés pour constituer un cas de harcèlement sexuel puisqu’un comportement unique peut, selon la gravité de l’acte, suffire à être qualifié comme tel, contrairement au harcèlement moral.
Qu’en est-il d’une éventuelle responsabilité de l’employeur en l’absence de dénonciation précise de la victime des actes de harcèlement sexuel subis ?
Dans le cadre de l’arrêt commenté, une salariée avait démissionné avec effet immédiat le 30 septembre 2016, et prétendait dans son courrier de résiliation avoir été victime (notamment) de plusieurs actes de harcèlement sexuel perpétrés à son encontre par l’administrateur délégué de l’entreprise, en septembre 2015 ainsi qu’au cours des mois d’avril, juillet et septembre 2016. Elle reprochait à l’employeur de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour faire cesser les actes de harcèlement sexuel dont elle aurait été victime, qui lui auraient causés des troubles psychiques.
Partant, la salariée a déposé une requête devant le Tribunal de travail de et à Luxembourg pour entendre dire justifiée sa démission avec effet immédiat et solliciter la condamnation de l’employeur à lui payer des dommages et intérêts au titre de son préjudice moral, outre une indemnité de procédure. A titre reconventionnel, l’employeur a sollicité la condamnation de la salariée au paiement d’une indemnité compensatoire de préavis, de dommages et intérêts et d’une indemnité de procédure.
Le Tribunal de travail a débouté la salariée de l’intégralité de ses demandes et l’a condamnée à payer à l’employeur une indemnité compensatoire de préavis. La salariée a interjeté appel du jugement entrepris.
En tout premier lieu dans son analyse, la Cour d’appel a statué sur le fait de savoir si oui, ou non, l’employeur a eu connaissance des actes de harcèlement sexuel querellés, et ce avant même d’analyser la matérialité des faits susceptibles d’être qualifiés de harcèlement sexuel.
En effet, suivant une position constante de la Cour d’appel, la dénonciation à charge du salarié des faits de harcèlement sexuel doit être suffisamment précise pour permettre à l’employeur d’agir utilement et prendre immédiatement les mesures appropriées pour faire cesser tout agissement de harcèlement sexuel[4].
A cet égard, la salariée a admis ne pas avoir dénoncé à l’employeur au cours de la relation de travail les actes dont elle aurait été victime. Néanmoins, selon elle, l’employeur aurait reconnu dans un courrier en réponse à sa lettre de démission avoir pleinement connaissance des agissements de son harceleur, en indiquant dans ces termes que la salariée aurait « toujours participé avec amusement aux allégations avancées sans jamais avoir objecté ou fait part de votre désapprobation à la direction» .
Selon le Tribunal du travail et la Cour d’appel, cette indication ne vaut pas reconnaissance d’actes de harcèlement sexuel, mais contestation de l’existence de tels actes.
Aussi, l’obligation dans le chef de l’employeur d’agir et de faire cesser des faits de harcèlement sexuel ne peut valablement être mise en œuvre qu’à compter d’une dénonciation précise du salarié des faits reprochés, dont il revient à ce dernier d’en rapporter la preuve.
La Cour d’appel retient le même raisonnement concernant les allégations de harcèlement moral, dont se plaignait également la salariée dans les faits de l’arrêt commenté : en l’absence de dénonciation précise des faits de harcèlement moral à l’employeur, ce dernier n’a matériellement pas été en mesure d’agir utilement et efficacement contre les prédits agissements. Il ne peut donc pas lui être reproché d’être resté passif face à une telle situation.
Partant, la Cour d’appel a confirmé le jugement du Tribunal de travail.
En conclusion, il est important de rappeler que les personnes se sentant victimes de harcèlement sexuel ou moral doivent dénoncer les faits au plus vite à l’entreprise, de manière précise et circonstanciée, même si cette démarche peut sembler a priori humainement difficile, car à défaut, l’entreprise ne peut pas agir, protéger la présumée victime dès sa plainte, et sanctionner l’auteur des faits s’ils sont avérés à l’issue de l’enquête. De son côté, il serait cohérent que l’entreprise mette en place une procédure d’alerte en matière de harcèlement[5], qui soit suffisamment claire et facile d’accès afin que les présumées victimes n’hésitent pas à dénoncer de tels faits.
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[1] Cour d’appel, 16 juin 2022, n°2019-01186 du rôle.
[2] L’entreprise a des obligations légales en matière de lutte contre le harcèlement sexuel tant envers ses salariés qu’envers ses stagiaires, apprentis et étudiants occupés pendant les vacances scolaires. (Article L. 245-1 du Code du travail).
[3] Article L. 245-4 du Code du travail.
[4] Cour d’appel, 1er juillet 2020, n°2020-00781 du rôle.
[5] La mise en place d’une telle procédure est expressément prévue par le Règlement grand-ducal du 15 décembre 2009 portant déclaration d’obligation générale de la convention relative au harcèlement [moral] et à la violence au travail conclue entre les syndicats OGB-L et LCGB, d’une part, et l’UEL, d’autre part, mais elle n’est pas expressément prévue par le Code du travail, concernant le harcèlement sexuel. Le projet de loi 7945 portant transposition de la Directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union prévoit d’imposer aux entreprises de mettre en place des canaux de signalement interne pour tout acte ou omission qui serait illicite ou irait à l’encontre de l’objet ou de la finalité des dispositions du droit national ou européen d’application directe, pour autant que la conséquence en serait un trouble causé à l’intérêt public (sans cependant définir cette dernière notion).