Français non-résidents et confinement : Partie 3

Le retour
1 juillet 2020 par
Emilie Clément

La pandémie de COVID-19 et les obligations de confinement qui en découlent conduisent à bien des interrogations, voire des remises en cause de nos modes de vie. Certaines évidentes (santé et sécurité), d’autres beaucoup moins concernant la situation juridique et fiscale de nos compatriotes nonrésidents qui ont choisi de revenir en France en cette période difficile, le plus souvent auprès de leur famille.

Comment définit-on la résidence fiscale en France et quel impact cette notion peut-elle avoir sur les Français rapatriés de l’étranger et confinés? Que peut-il se passer en cas de succession ou de divorce alors que je suis en France? Comment faire si au terme du confinement, je décide finalement de rester en France, voire d’y réimplanter mes activités professionnelles et ma société?

Benoit Caillet, gérant de fortune dans une banque privée internationale a posé ces questions importantes à Maître Jean-Philippe Mabru, avocat associé et managing partner du bureau de Paris du Cabinet Bonnard Lawson et ils vont les développer au fil de leurs échanges épistolaires (entre confinés).

TROISIÈME PARTIE : LE RETOUR

Benoit CAILLET :

Suite logique de notre entretien, et ce sera ma dernière question : Imaginons que certains de nos compatriotes non-résidents confinés en France choisissent finalement d’y rester et d’y réimplanter leurs activités professionnelles, auraient-ils des avantages à le faire ?

Jean-Philippe MABRU :

Les obligations de confinement, comme nous les connaissons aujourd’hui en France mais aussi sur une large partie de la planète, peuvent par leur rigidité provoquer quelques dégâts dont nous avons analysés précédemment quelques exemples. Elles peuvent aussi raviver des désirs dont, au-delà d’un hypothétique « baby-boom », celui de retrouver cette douce France, tant décriée mais si souvent chantée.

Il est vrai que les cadres, dirigeants ou non, d’entreprises françaises implantées en Chine, par exemple, pourront avoir des réticences à retrouver un autre genre de promiscuité, celui de la surpopulation des grandes mégapoles chinoises, et voir quelque attrait à finalement se relocaliser en France.

De même, de l’expérience de la pandémie et sa démonstration de nombreux travers de l’hypermondialisation, il est probable que certaines entreprises vont sérieusement considérer le rapatriement de branches d’activités et par la même du personnel expatrié qui y était rattaché. D’autant plus si le législateur français a l’intelligence d’y ajouter quelques incitations.

Quelle sera alors la situation fiscale de ces anciens expatriés redevenus résidents français ?

i. Le régime fiscal français des impatriés

Devenir résident fiscal français, au sens des critères posés à l’article 4B du CGI dont nous avons déjà abordé la nature en première partie de ces entretiens, entraine un assujettissement illimité à l’impôt français. Cela signifie que l’ensemble des revenus et du patrimoine mondiaux de la personne concernée entrent dans le champ de l’impôt.

Un régime fiscal dérogatoire a toutefois été mis en place par la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, codifié sous l’article 155 B du CGI et commenté par une instruction du 30 juillet 2009. Ce régime a fait l’objet au fil des années de modifications et assouplissements (notamment les Loi Macron du 6 Août 2015, Loi de Finances pour 2017 et Loi de Finances pour 2019).

Il permet aux salariés et dirigeants salariés d’entreprises venant exercer leur activité en France de bénéficier de mesures particulières d’exonération en matière d’impôt sur le revenu.

Il est toutefois assorti d’une double condition :

  • Ne pas avoir été fiscalement domicilié en France au sens du droit français (art. 4B du CGI) ou résident de France au sens des conventions fiscales de façon ininterrompue pendant les 5 années précédant l’installation professionnelle en France ;

  • Et de fixer en France son domicile fiscal (au sens du droit interne et/ou des conventions fiscales) à compter de la prise de fonctions en France. Cette dernière s’entend normalement du début effectif soit du contrat de travail soit du mandat social, mais l’Administration admet, à titre de tempérament, que l’installation en France peut être différée de quelques mois du fait des contraintes familiales ou professionnelles.

Dès lors que ces conditions sont remplies, les personnes concernées vont bénéficier d’allègements sur l’imposition de leurs revenus d’activité et sur certains revenus du patrimoine situé à l’étranger.

S’agissant des revenus d’activité, une exonération d’impôt est accordée :

  • D’une part, sur la « prime d’impatriation » pour son montant réel ou, sur option, dans la limite de 30% de la rémunération nette globale (hors avantages salariaux) ;

  • Et d’autre part, sur la fraction de la rémunération qui serait, le cas échéant, allouée à une activité exercée hors de France dès lors que les déplacements à l’étranger sont motivés par l’intérêt exclusif de l’entreprise.

Ces deux exonérations sont cependant plafonnées, au choix des intéressés, soit globalement à hauteur de 50 % de leur rémunération totale, soit uniquement pour la fraction de la rémunération correspondant à l’activité exercée à l’étranger à hauteur de 20 % de leur rémunération imposable.

Pour ce qui concerne les revenus du patrimoine étranger, sont exonérés à hauteur de 50% de leur montant :

  • Les revenus de capitaux mobiliers (dividendes, intérêts, produits des contrats d’assurance-vie ou de capitalisation) ;

  • Les produits de la propriété intellectuelle ou industrielle (droits d’auteur, revenus et produits de brevets, marques, procédés ou formules…) perçus par les inventeurs ainsi que les produits perçus par les créateurs de logiciels indépendants.

  • Les plus-values de cession de valeurs mobilières et droits sociaux détenus à l’étranger.

Corrélativement, les moins-values sur ces mêmes titres ne sont prises en compte qu’à hauteur de la moitié de leur montant.

Pour bénéficier de ce régime spécial d’imposition, le paiement de ces différentes catégories de revenus et gains en capital doit avoir été effectué par une personne établie hors de France dans un Etat ayant conclu avec la France une convention fiscale comprenant une clause d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscale. Il concerne tous les placements financiers, de source française ou étrangère, détenus hors de France.

Ces exonérations partielles tant des revenus d’activité que de ceux du patrimoine hors de France s’appliquent jusqu’au 31 décembre de la huitième année suivant celle de la prise de fonctions en France.

Est-ce que tout le monde peut en bénéficier ?

En fait, non.

Ne sont concernés par ce régime dérogatoire que les salariés non-résidents et dirigeants de sociétés de capitaux soumis au régime fiscal des salariés qui viennent exercer leur activité en France soit parce qu’ils sont recrutés directement par une entreprise française soit parce qu’ils sont détachés par une entreprise étrangère à ses activités en France. Dans ce deuxième cas, il s’agira des personnels dirigeants ou non qui exerceront désormais leur activité professionnelle au sein de la filiale française d’une entreprise étrangère.

En revanche, les personnes qui décideront de leur propre initiative de rester travailler en France ne peuvent pas profiter du régime fiscal des impatriés.

Il en va de même pour le conjoint du salarié en question et des personnes exerçant une activité indépendante (professionnels libéraux notamment).

Il est bien évident aussi qu’une personne retraitée n’entre pas dans le cadre de ces dispositifs.

Toutefois, pour ces derniers, il existe des situations atypiques qui peuvent conduire à une nonimposition en France : tel est notamment le cas des retraités de nationalité américaine, confinés en France pas les hasards de leurs séjours dans leur résidence secondaire et qui décideraient de s’y installer définitivement.

En effet, les dispositions particulières de la convention franco-américaine en matière d’impôt sur le revenu et sur la fortune du 31 Août 1994 modifiée conduisent à une exonération d’impôt en France de certaines catégories de revenus :

  • Les pensions de retraites, publiques ou privées, qui ne sont imposables que dans l’Etat de la source (soit au cas particulier des retraités américains, les Etats-Unis) ;

  • Les revenus passifs de sources américaines (dividendes, intérêts, plus-values de cession de valeurs mobilières) ;

  • Les revenus provenant d’immeubles situés aux Etats-Unis.

L’ensemble de ces revenus de sources américaines sont en principe imposables en France mais y voient leur imposition totalement effacée par l’imputation sur l’impôt dû en France d’un crédit d’impôt égal à l’impôt français. Ce crédit d’impôt s’étend aussi aux contributions sociales.

Ainsi les retraités américains dont les revenus sont le plus souvent constitués de ceux décrits ci-dessus n’ont aucune imposition à acquitter en France et ne restent redevables aux Etats-Unis que de la seule imposition fédérale.

Au regard de l’impôt sur le revenu, il y a donc quelques opportunités à considérer attentivement lors de la levée prochaine du confinement.

ii. L’Impôts sur la Fortune Immobilière (« IFI »)

Indépendamment des avantages fiscaux réservés aux salariés impatriés dans le cadre de l’impôt sur le revenu, il existe aussi un régime spécial d’exonération en matière d’impôt sur la fortune.

Tout résident français est normalement assujetti à l’IFI sur l’ensemble de ses biens immobiliers, détenus directement ou indirectement, qu’ils soient situés en France ou hors de France.

Toutefois, les impatriés (ou nouveaux résidents) sont, en vertu des dispositions de l’art. 964-1° al.2 du CGI, exonérés de toute imposition sur leurs biens immobiliers situés à l’étranger, dès lors qu’ils n’ont pas été fiscalement domiciliés en France au cours des 5 années précédant celle de leur installation en France.

Cette exonération s’applique jusqu’au 31 décembre de la cinquième année qui suit celle de leur installation. Ainsi, une personne décidant de rester en France en 2020 à l’issue du confinement, pourra prétendre à une exonération de l’IFI de ses biens immobiliers hors de France jusqu’au 31 décembre 2025.

Il faut noter que ce texte concerne toute personne prenant une résidence (ou domicile) en France quelle qu’en soit la raison et qu’elle est maintenue même si pendant la période de 5 ans, elle prend temporairement une résidence hors de France.

Cette mesure particulière figure aussi dans un certain nombre de conventions fiscales signées par le France et profite aux nationaux des Etats concernés. Elles ne peuvent toutefois pas se cumuler, sauf dans certains cas particuliers où il peut être prévu que la personne ayant déjà profité une première fois de l’exonération y a droit une seconde fois lors de sa réinstallation en France à condition d’avoir été non-résident pendant trois ans, au lieu de cinq ans (tel est le cas des conventions avec l’Allemagne, l’Autriche et les Etats-Unis).

Prenons par exemple la situation d’un national américain résident aux Etats-Unis depuis plus de 5 ans et qui décide de s’installer en France : il sera exonéré d’IFI sur son patrimoine immobilier non français pendant les cinq années suivant son installation sur le fondement de l’article 964-1 al.2 du CGI. Si au terme des 5 ans, il décide de retourner aux Etats-Unis pendant une durée d’au moins 3 ans puis revient en France, il pourra à nouveau bénéficier de l’exonération d’IFI sur ses immeubles à l’étranger pendant une nouvelle durée de 5 ans suivant sa réinstallation en France en application des dispositions de l’article 23 §6 de la convention franco-américaine en matière d’impôt sur le revenu et sur la fortune du 31 Août 1994, bien que les conditions de l’article 964 du CGI ne soient pas remplies.

Au terme de ces développements, on constate qu’une prise de résidence en France peut s’avérer avantageuse dans nombre de cas. Il convient bien entendu d’analyser très sérieusement l’intégralité de la situation de chacun avant de prendre une décision et procéder aux réorganisations familiales et patrimoniales qui pourraient s’imposer le cas échéant avant de franchir le pas. Il sera notamment opportun, sur le plan fiscal, d’être attentif aux plus ou moins-values latentes dans les portefeuilles de valeurs mobilières dont la purge préalable pourra s’avérer judicieuse avant le retour. Il faudra porter aussi une attention toute particulière aux trusts qui auront pu être constitués hors de France.

iii. L’Exit Tax – Un nouveau départ

Notre contribuable avisé peut finalement se lasser des incessantes controverses gauloises et décider après quelques temps de repartir.

Ainsi que nous venons de le voir, les différents avantages fiscaux accordés aux impatriés sont temporaires : 8 ans dans le cadre de l’impôt sur le revenu, 5 ans pour l’IFI.

Il n’est pas exclu que la fiscalité française évolue dans les prochaines années dans un sens moins favorable afin de faire face aux déficits considérables provoqués par la crise du COVID-19. S’il y a une certitude ici, c’est que lorsque l’Etat finance, le contribuable finit toujours par payer d’une manière ou d’une autre. La différence actuelle est sans doute que ce qui est valable chez nous le sera tout autant ailleurs.

Alors, bien évidemment, certains nouveaux résidents voyant arriver la fin de leurs régimes propres d’exonération partielle auront la tentation de quitter la France pour vivre l’aventure sous de nouveaux cieux qu’ils espèreront plus cléments.

La question ici sera celle de la fiscalité du départ et de l’incontournable taxation des plus-values latentes au départ de France, autrement nommée Exit Tax.

La Loi de Finances rectificative pour 2011 a réinstauré un mécanisme de taxation des plus-values latentes sur les participations détenues par des personnes physiques domiciliées en France qui transfèrent leur domicile fiscal à l’étranger à compter du 3 mars 2011. Ce texte a été modifié à plusieurs reprises dont notamment par la loi de finances pour 2019 qui a intégré dans le champ de l’Exit Tax les plus-values latentes sur parts et actions de sociétés à prépondérance immobilière.

Le fait générateur est le transfert du domicile fiscal hors de France, lequel est réputé intervenir le jour précédant celui à compter duquel la personne concernée cesse d’être soumise en France à une obligation fiscale sur l’ensemble de ses revenus.

L’imposition fait l’objet d’un sursis de paiement automatique sans constitution de garantie lorsque le nouveau domicile est fixé dans l’Union Européenne ou dans un État ou territoire ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales ainsi qu’une convention d’assistance mutuelle en matière de recouvrement.

Au cas contraire, une proposition de garantie doit être présentée 90 jours avant le départ de France. Enfin, il sera précisé que depuis l’entrée en vigueur de la loi de finances pour 2019, le dégrèvement de l’imposition en sursis intervient maintenant à l’expiration d’un délai de 2 ou 5 ans selon que la valeur globale des titres excède ou non 2.570.000€.

Voilà de manière très schématique comment se présente ce dispositif.

Il ne concerne toutefois que les personnes qui ont été fiscalement domiciliées en France pendant au moins six des dix années précédant le transfert de leur domicile à l’étranger.

En conséquence, tout départ de France effectué dans les 6 premières années de résidence n’entre pas dans le champ de l’Exit Tax.

Dès lors, notre contribuable avisé, ex-confiné, aura intérêt à savoir compter avec les délais : 5 ans IFI, 6 ans Exit Tax, 8 ans impôt sur le revenu.

Un homme averti en vaut deux, dit-on, et celui dont la barque s’est retrouvée drossée sur les côtes de France par un effet de confinement brutal, pourra trouver ici matière à réfléchir et, qui sait, imaginer prolonger quelques temps son séjour aux côtés du coq gaulois.