Français non-résidents et confinement – Partie 2

LE DIVORCE, UNE ISSUE FATALE DU CONFINEMENT ?
2 juillet 2020 par
Emilie Clément

La pandémie de COVID-19 et les obligations de confinement qui en découlent conduisent à bien des interrogations, voire des remises en cause de nos modes de vie. Certaines évidentes (santé et sécurité), d’autres beaucoup moins concernant la situation juridique et fiscale de nos compatriotes nonrésidents qui ont choisi de revenir en France en cette période difficile, le plus souvent auprès de leur famille.

Comment définit-on la résidence fiscale en France et quel impact cette notion peut-elle avoir sur les Français rapatriés de l’étranger et confinés? Que peut-il se passer en cas de succession ou de divorce alors que je suis en France? Comment faire si au terme du confinement, je décide finalement de rester en France, voire d’y réimplanter mes activités professionnelles et ma société?

Benoit Caillet, gérant de fortune dans une banque privée internationale a posé ces questions importantes à Maître Jean-Philippe Mabru, avocat associé et managing partner du bureau de Paris du Cabinet Bonnard Lawson et ils vont les développer au fil de leurs échanges épistolaires (entre confinés).

DEUXIEME PARTIE : LE DIVORCE, UNE ISSUE FATALE DU CONFINEMENT ?

Benoit CAILLET :

Dans notre premier entretien nous avons abordé la question cruciale et difficile du décès, mais il en est une autre redoutable : si cette vie de confinement familial entraîne une demande de divorce, sous quel droit sera traitée cette séparation ?

Jean-Philippe MABRU :

Depuis le début de la crise sanitaire Covid-19, de nombreuses études sociologiques et psychologiques tentent de pronostiquer les conséquences de la proximité imposée par le confinement, sur les familles et plus particulièrement sur le couple. Bien qu’en début de crise certains misaient sur un phénomène de « baby-boom » comme conséquence de ce rapprochement, au fur et à mesure que les semaines défilent, l’épreuve du huis-clos laisse la place aux difficultés et fatalement, à l’éclatement du couple, à l’instar de la tendance constatée en Chine où la fin du confinement s’est soldée par l’explosion de demandes de divorce et de plaintes pour violences domestiques.

Les couples de français (ou de franco-étranger) ayant choisi de se rapatrier de l’étranger et qui, au cours de leur confinement en France, réalisent qu’ils souhaitent divorcer, seront principalement confrontés à deux questions : (i) la juridiction qu’ils pourraient saisir, et (ii) la loi qui serait applicable à leur divorce, lesquelles dépendent essentiellement non pas du droit interne français mais du droit européen.

i. Sur la compétence des tribunaux

En doit français, les règles de compétence juridictionnelles sont fixées à l’article 1070 du code de procédure civile, soit notamment le lieu de résidence de la famille ou celui du défendeur. De plus, les articles 14 et 15 du code civil instaurent un privilège de nationalité donnant compétence aux tribunaux français pour tout litige concernant un national français, à condition, en matière de divorce, qu’aucun critère de compétence du Règlement Européen ci-après ou de l’article 1070 du CPC ne soit rempli.

Toutefois, dans le cadre international, le Règlement dit « Bruxelles II bis » du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, liant l’ensemble des Etats membres de l’UE, à l’exception du Danemark, impose des critères sensiblement différents. Il s’applique au divorce, à la séparation de corps et à l’annulation du mariage des époux, à l’exception des litiges relatifs aux obligations alimentaires et aux effets patrimoniaux du mariage.

Le Règlement prévoit une pluralité de chefs de compétence non hiérarchisés, selon lesquels peuvent être saisis les tribunaux de l’Etat de :

  • la résidence habituelle des époux ;

  • la dernière résidence habituelle des époux si l’un d’eux y réside encore ;

  • la résidence habituelle du défendeur ;

  • en cas de demande conjointe, la résidence habituelle de l’un ou l’autre époux ;

  • la résidence habituelle du demandeur s’il y réside depuis au moins un an au jour de l’introduction de la demande ;

  • la résidence habituelle du demandeur s’il y réside depuis au moins six mois au jour de l’introduction de la demande et qu’il est ressortissant de cet Etat ;

  • la nationalité commune des deux époux.

La résidence habituelle est ici comprise comme « le lieu où l’intéressé a fixé, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent ou habituel de ses intérêts » (Cass. 1e civ. 14-12 2005 n° 05-10.951). Nous écarterons ce critère au cas d’espèce, les époux étant en principe rentrés en France, pays de nationalité d’au moins l’un d’entre eux, uniquement à l’occasion du confinement et peu important leur lieu de résidence habituelle, qui n’est par hypothèse pas la France.

L’application de ces règles a pour conséquence que, celui qui souhaite divorcer de son époux résident habituel ou ressortissant de l’UE, ne pourra l’assigner au sein de l’UE qu’en suivant les critères listés ci-dessus, lesquels, s’ils ne sont pas alternatifs, sont en revanche exclusifs : le droit interne français est écarté. Inversement, celui qui souhaite divorcer d’un époux qui n’a aucun lien avec l’UE pourra se prévaloir des règles de droit interne.

Ainsi, des époux non-résidents mais tous deux de nationalité française pourront engager une procédure en divorce devant les tribunaux français.

Dans le cadre d’époux de nationalités européennes, il convient de faire particulièrement attention, ce qui n’est pas toujours le cas, aux dispositions de l’article 6 du Règlement qui prévoit « un privilège de nationalité européenne » et protège un ressortissant européen contre le fait d’être assigné dans un Etat Membre autre que celui dont il est le national.

En conséquence, un époux français confiné avec son épouse espagnole ne pourra pas se prévaloir de l’article 14 du Code Civil pour l’assigner devant le juge français alors qu’ils résident habituellement hors de France, seules les juridictions espagnoles pourraient dans ce cas se reconnaitre compétentes (en ce sens, Cass. 1e civ. 15-11-2017 n° 15-16.265 FS-PBI). Son épouse espagnole, en revanche, pourrait l’assigner devant les tribunaux français sur le fondement de l’article 15 du code civil.

De même, l’épouse française ayant quitté sa résidence chinoise pour se confiner en France avec son époux chinois, pourra demander l’application des règles nationales de compétence, dès lors qu’aucun tribunal de l’UE ne serait compétent au titre des critères du Règlement. Comme dans le cas précédent, son époux pourrait d’ailleurs prendre les devants et l’assigner en France par application de l’article 15 du Code civil.

Dans l’hypothèse que nous analysons on peut considérer que, dans la mesure où les époux résident habituellement dans un pays étranger, le juge français ne sera la plupart du temps compétent en vertu du Règlement « Bruxelles II bis » que s’il s’agit d’un couple de nationaux français. Au cas contraire il conviendra d’examiner le lieu de résidence et la nationalité des époux pour déterminer la juridiction compétente pour les divorcer.

Enfin, aucune des dispositions du Règlement susvisé, ni d’ailleurs de celles du nouveau Règlement « Bruxelles II ter » qui se substituera au premier dès le 1er août 2022, n’accordent aux époux la faculté de choisir leur juge d’un commun accord.

La juridiction française qui se serait reconnue compétente en application des règles qui précèdent, procédera à la détermination de la loi applicable au divorce.

ii. Sur la loi applicable au divorce

Depuis 2012, la France applique le Règlement « Rome III1 » lequel a une portée universelle. Cela signifie qu’il a vocation à s’appliquer même si la loi désignée est celle d’un Etat étranger au Règlement, et même si les époux n’ont aucun lien avec l’Union européenne. Son application en France intervient dès lors que le juge français est saisi d’une question comportant un élément d’extranéité, tel que la résidence habituelle étrangère dans l’hypothèse ici étudiée.

En application du Règlement Rome III, la loi applicable au divorce est en principe déterminée par le choix des époux qui peuvent, par convention conclue à tout moment avant la saisine du tribunal, désigner l’une des lois suivantes :

  • loi de l’Etat de la résidence habituelle des époux ;

  • loi de l’Etat de la dernière résidence habituelle des époux si l’un d’eux y réside encore ;

  • loi de la nationalité de l’un des époux ;

  • loi de l’Etat où se trouve le tribunal saisi.

A défaut de choix par les époux, la loi applicable est déterminée en fonction des critères suivants :

  • loi de l’Etat de la résidence habituelle des époux au moment de la saisine du tribunal ;

  • à défaut, loi de l’Etat de la dernière résidence habituelle des époux si l’un d’eux y réside encore et si cette résidence commune n’a pas pris fin plus d’un an avant la saisine du tribunal ;

  • à défaut, loi de la nationalité commune des époux au moment de la saisine du tribunal ;

  • à défaut, loi de l’Etat où se trouve le tribunal saisi.

Cette détermination « par défaut » devrait néanmoins avoir une portée limitée dans le cas des couples rapatriés qui nous occupe. En effet, s’il s’avère que le juge français est effectivement compétent pour connaître de leur divorce, ils auront tout intérêt à choisir avec leur avocat la loi qui leur sera applicable, afin d’éviter toutes règles qui se heurteraient à l’exception d’ordre public international ou qui contreviendraient de manière plus générale aux standards européens en matière de droits fondamentaux (ce qui peut être le cas de certaines lois religieuses applicables en fonction de la nationalité de l’un des époux par exemple).

Quid du divorce par acte d’avocat déposé au rang des minutes d’un notaire ?

Il est aujourd’hui possible en France de divorcer sans intervention d’un juge, par acte d’avocats déposé au rang des minutes d’un notaire.

L’efficacité du Règlement « Bruxelles II bis » en matière de divorce non judiciaire prévu aux articles 229-1 et suivants du Code civil fait l’objet de débats portant notamment sur son champ d’application matériel : le notaire n’est pas une juridiction au sens du Règlement et le dépôt de la convention de divorce au rang de ses minutes ne lui donne pas qualité d’acte authentique.

Néanmoins, l’article 46 du Règlement « Bruxelles II bis » prévoyant expressément que les accords exécutoires dans l’Etat membre d’origine sont reconnus et rendus exécutoires dans les mêmes conditions que les décisions, de nombreux divorces internationaux sans juge ont lieu en France sur ce fondement. Le notaire français a même la possibilité de délivrer, au visa de l’article 509-3 du code de procédure civile,[1] le certificat prévu par le Règlement « Bruxelles II bis » qui permet la circulation des décisions.

La difficulté pourrait toutefois porter sur l’étendue de sa reconnaissance à l’international. D’une part les Etats qui ne connaissent pas les divorces sans juge auront du mal à établir qu’un tel accord vaut bien divorce, et d’autre part, en cas de contestation de la convention de divorce ou de demande de modification ultérieure de celle-ci (nécessairement judiciaire, la modification conventionnelle n’étant pas prévue) le juge français saisi devrait vérifier sa compétence. Le choix de cette procédure suppose donc, à minima, de vérifier qu’une juridiction française serait compétente au regard des règles du Règlement Bruxelles II bis, s’il était question d’une procédure judiciaire.

Il sera enfin relevé que le nouveau Règlement Bruxelles II ter entend s’appliquer non seulement aux actes authentiques mais aussi aux accords enregistrés par une autorité publique, y compris les notaires en exercice d’une profession libérale. Ce nouveau texte devrait être en mesure de garantir à l’avenir, à l’échelle de l’UE, l’efficacité du divorce par consentement mutuel non judiciaire de droit français. L’un des objectifs de la refonte dudit Règlement ayant été de clarifier ses dispositions, cette précision serait de nature à conforter les couples qui choisissent le divorce sans juge, quant à son efficacité à l’international.

Au-delà des frontières européennes cependant, le statut du divorce sans juge demeure à l’heure actuelle extrêmement précaire. La prudence demeure de mise dans ce domaine. En conclusion, si le confinement peut exacerber les passions et les rancoeurs, le divorce qui en serait l’issue peut s’avérer complexe.

Il est de la responsabilité des époux et surtout de leurs avocats, lorsque la situation présente un élément d’extranéité, de vérifier les règles de compétence internationale, la loi applicable et, le cas échéant, d’évaluer l’opportunité d’un divorce par acte d’avocats qui supposera bien entendu que les esprits, échauffés par des semaines de promiscuité inhabituelle, se soient calmés et entendent l’appel de l’accord amiable.

N’oublions pas qu’une transaction vaut toujours mieux qu’un bon procès !

Et dans le cas où le contentieux est inévitable, les intérêts financiers bien compris de chacune des parties prenantes vont pousser à s’interroger sur l’opportunité de saisir certains tribunaux plutôt que d’autres. Il est clair que pour l’épouse britannique d’un mari français les tribunaux anglais seront plus favorables que ceux français… et inversement.

[1]  Règlement 1259/2010 mettant en oeuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, entré en vigueur en France le 21/06/2012, concerne actuellement 15 autres pays (Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Espagne, Grèce, Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Portugal, Roumanie et Slovénie).