Écrit par Thérèse Lallart, Avocat à la cour - Associate, CASTEGNARO-Ius Laboris Luxembourg
Comment distinguer le pouvoir de direction, de contrôle et de sanction conféré à un supérieur hiérarchique, de faits constitutifs de harcèlement moral pouvant justifier son licenciement? Un récent arrêt de la Cour d’appel revient sur les principes applicables en la matière.
Dans l’affaire en cause [1] , une salariée engagée en qualité de «Head of Compliance» (impliquant une fonction de supervision et de contrôle) a été licenciée avec préavis après deux années de service.
Les motifs ayant conduit au licenciement de cette salariée? Un style de management susceptible de l’exposer à une plainte pour harcèlement moral.
Le Tribunal du travail saisi par la salariée ayant déclaré le licenciement justifié, cette dernière a interjeté appel en faisant valoir que les motifs de son licenciement ne seraient ni réels ni sérieux, notamment:
- ils auraient trait essentiellement «à des anicroches relationnelles» entre elle et sa collègue et subordonnée, et ne seraient que la traduction du ressenti subjectif de cette dernière;
- les critiques émises ne seraient que des observations légitimes qu’une supérieure hiérarchique aurait droit d’émettre à l’égard de sa subordonnée concernant les prestations de travail;
- des circonstances d’ordre personnel ainsi que l’hypersensibilité de sa subordonnée devraient être prises en compte par le juge dans sa prise de décision.
La Cour d’appel a fait droit à la salariée et réformé le jugement du Tribunal du travail en déclarant son licenciement abusif.
Pas de harcèlement moral sans preuve
Le harcèlement moral est constitué «lorsqu’une personne relevant de l’entreprise commet envers un travailleur ou un dirigeant des agissements fautifs, répétés et délibérés qui ont pour objet ou pour effet soit de porter atteinte à ses droit ou à sa dignité, soit d’altérer ses conditions de travail ou de compromettre son avenir professionnel en créant un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant, soit d’altérer sa santé physique ou psychique» [2] .
Le harcèlement moral dans une entreprise peut constituer un motif réel et sérieux de sanction, notamment de licenciement [3] . Toutefois, la jurisprudence majoritaire est souvent amenée à écarter la qualification de harcèlement moral, faute pour le salarié qui s’estime victime de pouvoir établir, preuve à l’appui, l’existence de faits constitutifs de harcèlement [4] .
En l’espèce, la plupart des faits susceptibles de constituer du harcèlement moral ont été écartés des débats, faute de preuve. Tel est le cas notamment du remplacement de la subordonnée «au pied levé» par la salariée pour une réunion avec un client allégué, des menaces selon lesquelles sa subordonnée ne serait pas augmentée ou serait transférée dans un autre département, ou encore des propos qui auraient été tenus par la salariée tels que «tu vas bien crever» ou «on sait bien que tu es malade, mais c’est surtout dans la tête».
Dans cette affaire, c’est l’employeur lui-même qui a pris la décision de licencier la supérieure hiérarchique pour «un style de management qui pourrait [l’exposer] à une plainte pour harcèlement moral», sans s’appuyer au préalable sur des preuves concrètes qu’un tel harcèlement moral existait réellement.
La Cour a ainsi refusé de valider le licenciement pour «potentiel» harcèlement moral.
L’exercice normal et légitime du pouvoir hiérarchique n’est pas constitutif de harcèlement moral
La Cour d’appel a également rappelé la prérogative légitime dont dispose un supérieur hiérarchique de donner des instructions à un subordonné, de contrôler l’exécution de son travail, de lui faire part de son appréciation sur les prestations effectuées ou omises et, le cas échéant, d’émettre des critiques ou des observations au sujet du travail presté, et ce dans le cadre du lien de subordination propre au contrat de travail.
Une telle prérogative doit cependant être exercée dans le respect de la personne du salarié, la jurisprudence considérant que «la limite de l’abus, et donc du harcèlement moral, est seulement atteinte lorsque l’employeur exerce ses pouvoirs de manière injustifiée, donc soit sans aucun fondement, soit de manière disproportionnée» [5] .
Selon la jurisprudence, «il convient de faire la distinction entre une situation constituant un harcèlement moral et une situation de tension, voire de stress, même intense, qui est liée à un contexte professionnel difficile, à la nature de la tâche du salarié ou à l’étendue de ses responsabilités, voire à une surcharge de travail» [6] .
Ainsi, le ressenti subjectif d’un salarié ne suffit pas à lui seul à justifier le licenciement de son supérieur hiérarchique, en l’absence de preuve de dépassement avéré par ce dernier du cadre normal de l’exercice du pouvoir hiérarchique.
Dans l’affaire commentée, la Cour d’appel a retenu que la critique émise par la salariée licenciée sur le manque d’autonomie de sa subordonnée et le reproche fait à cette dernière de la mettre trop souvent en copie (faits retenus comme établis en l’espèce) relevaient des critiques légitimes qu’un supérieur hiérarchique pouvait adresser à son subordonné.
En outre, le fait pour la salariée licenciée d’avoir jeté un stylo en direction d’un autre salarié pour faire cesser le bruit dans la salle alors qu’elle était en conférence téléphonique n’a pas été jugé de nature à justifier son licenciement en l’espèce. La Cour a relevé que cet acte, bien qu’inapproprié et blâmable, était intervenu deux ans avant le licenciement, dans un contexte particulier, et qu’il n’avait fait l’objet d’aucune plainte du salarié visé.
Au contraire, ce dernier a déclaré être habitué au «style moins formel que le style habituel des managers» et avoir apprécié l’accessibilité et la façon «un peu cash de dire les choses» de la salariée licenciée. La Cour a également noté la reconnaissance par plusieurs témoins du style et du langage directs et familiers de la salariée licenciée. Pour autant, elle n’en a pas déduit en l’espèce l’existence de motifs réels et sérieux pouvant justifier son licenciement.
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[1] Cour d’appel, 4 mars 2021, n° CAL-2020-00227 du rôle.
[2] Article 2 de la Convention du 25 juin 2009 relative au harcèlement et à la violence au travail déclarée d’obligation générale par règlement grand-ducal du 15 décembre 2009.
[3] Cour d’appel, 16 octobre 2014, n° 39728 du rôle.
[4] Cour d’appel, 12 décembre 2019, n° 44858 du rôle.
[5] Cour d’appel, 24 novembre 2016, n° 42364 du rôle.
[6] Cour d’appel, 22 octobre 2020, CAL-2018-00869 du rôle.