Marqué par la Journée internationale des droits des femmes, le mois de mars est le symbole tout entier de la lutte pour les droits des femmes et notamment pour la fin des inégalités au travail par rapport aux hommes.
En 2021, et pour la première fois, le Gender Pay Gap (indicateur de l’écart de rémunération entre hommes et femmes) au Luxembourg est passé sous la barre des 0%, plus précisément à -0,2% en faveur des femmes 1. En 2021, le salaire moyen des femmes a été supérieur à celui des hommes.
En 2022, cet écart a continué de se creuser en faveur des femmes, à hauteur de -0,7%.
Cependant, cet indicateur comporte des limites, entre autres, le fait de ne comparer que des salaires moyens et non pas des salaires pour un travail égal mais également le fait qu’il ne prend en compte que le salaire horaire, or les écarts entre les salaires annuels restent en faveur des hommes.
À côté de cette donnée statistique somme toute importante, qu’en est-il de l’état actuel du droit, plus particulièrement du droit du travail, dans la lutte constante pour l’égalité entre les femmes et les hommes ?
Bien avant la loi du 15 décembre 2016 (codifiée depuis), le règlement grand-ducal du 10 juillet 1974 relatif à l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes disposait que tout employeur assure, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l’égalité de salaire entre les hommes et les femmes…« Les inégalités salariales entre femmes et hommes seront abolies par la force de la loi ».
C’est autour de cette affirmation qu’a été votée la loi du 15 décembre 2016 qui est venue modifier le Code du travail afin de créer un nouveau chapitre au Livre II intitulé expressément « Égalité salariale entre les hommes et les femmes ».
Avec cette loi, une inégalité de salaire entre un homme et une femme, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, est considérée comme une infraction dont l’employeur se rend coupable s’il ne justifie pas la différence de salaire par des critères objectifs tels qu’une différence de connaissances professionnelles consacrées par un titre ou un diplôme, par des capacités découlant de l’expérience acquise ou par des responsabilités et charge physique ou nerveuse.
Le législateur a prévu une amende pénale entre 251 et 25.000 euros pour l’employeur qui ne respecte pas cette obligation.
Le Code du travail luxembourgeois prévoit également une obligation d’information semestrielle à la délégation du personnel ainsi qu’au délégué à l’égalité des statistiques ventilées par sexe sur les recrutements, les promotions, les mutations, les licenciements, les rémunérations et les formations des salariés de l’entreprise.
À noter que, pour le secteur financier, la circulaire CSSF 23/838 oblige certaines sociétés d’investissement à fournir tous les trois ans (à partir de 2024 pour l’exercice de 2023) les données permettant une évaluation comparative de l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes.
Par un projet de loi déposé à la Chambre des Députés en janvier 2023 et toujours en commission, le Législateur entend instituer deux organes :
- L’Observatoire de l’Égalité entre les genres qui serait chargé d’épauler les acteurs et professionnels œuvrant dans le domaine de l’égalité entre les genres au travail en fournissant des données et informations objectives en la matière et de veiller à suivre les évolutions en matière d’égalité entre les genres, et ;
- Le Conseil supérieur à l’Égalité entre les genres qui serait chargé, quant à lui, d’étudier et d’aviser toutes les questions relatives à l’égalité entre les genres qui peuvent lui être soumises.
Outre ces différentes mesures, la législation luxembourgeoise ne prévoit pourtant pas de mécanismes à l’instar de l’Index de l’égalité professionnelles femmes/hommes instauré en France avec la loi du 5 septembre 20218 qui soumet les entreprises à une obligation de résultat et qui sert à mesurer où en sont les entreprises sur le plan de l’égalité professionnelle en agrégeant plusieurs indicateurs.
La pandémie de Covid-19, qui a davantage creusé les inégalités entre femmes et hommes, et le manque de transparence sur les niveaux de rémunération concourent aux différentes discriminations directes ou indirectes en matière de rémunération.
Pour tenter d’y remédier, le Parlement Européen et le Conseil de l’Union Européenne ont adopté la directive (UE) 2023/970 du 10 mai 2023 visant à renforcer l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes pour un même travail ou un travail de même valeur par la transparence des rémunérations et les mécanismes d’application du droit (ci-après, la « Directive »).
Quelle serait la valeur ajoutée de cette Directive ?
Tout d’abord, la Directive vise à lutter contre les discriminations salariales en établissant des exigences minimales en vue de renforcer le principe de l’égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes pour un même travail ou un travail de même valeur.
La Directive vient également préciser que, dans son champ d’application, la discrimination inclut également les cas de discrimination intersectionnelle qui désigne une discrimination fondée simultanément sur le sexe et sur un ou plusieurs autres motifs de discrimination prohibés tels que et l'origine ethnique ou la sexualité entre autres.
La Directive s’applique aux employeurs des secteurs publics et privés ainsi qu’à tous les travailleurs qui ont un contrat de travail ou une relation de travail, y compris les travailleurs à temps partiel, les travailleurs ayant un contrat à durée déterminée, les travailleurs occupant des postes de direction et les personnes ayant un contrat de travail ou une relation de travail avec une entreprise de travail intérimaire.
À noter qu’elle s’applique également aux candidats à un emploi.
De nouvelles obligations sont introduites par la Directive à la charge des employeurs telles que la fourniture, par ces derniers, aux candidats à un emploi des informations sur la rémunération initiale ou concernant la fourchette de rémunération initiale, sur base de critères objectifs non sexistes de manière à garantir une négociation éclairée et transparente.
En outre, la Directive prévoit que l’employeur ne pourra plus demander aux candidats leur historique de rémunération au cours de leurs relations de travail actuelles et antérieures.
Les États membres seront tenus de veiller à ce que les employeurs (dont les effectifs sont situés entre 100 et 250 salariés) fournissent des informations sur leur organisation et, entre autres, sur l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes, ce même écart au niveau des composantes variables ou complémentaires et également l’écart de rémunération médian entre les femmes et les hommes.
Les employeurs soumis à cette obligation d’information devront procéder à une évaluation conjointe :
- Si une différence de niveau de rémunération moyen d’au moins 5% entre les travailleurs féminins et masculins est révélée ;
- Si l’employeur n’a pas justifié cette différence de niveau de rémunération moyen par des critères objectifs non sexistes, et ;
- Si l’employeur n’a pas remédié à cette différence dans un délai de 6 mois à compter de la date de communication des données sur les rémunérations.
Cette évaluation conjointe comporte, entre autres, une analyse de la proportion de travailleurs féminins et masculins dans chaque catégorie, les raisons des différences de niveaux de rémunération moyens entre les travailleurs féminins et masculins et des mesures visant à remédier aux différences de rémunération, si celles-ci ne sont pas justifiées par des critères objectifs non sexistes.
Par ailleurs, avec la Directive, si un travailleur s’estime lésé par un défaut d’application du principe d’égalité des rémunérations et établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombera désormais à l’employeur de prouver qu’il n’y a pas eu de discrimination en matière de rémunération.
Enfin, la Directive impose aux États membres de déterminer un régime de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives applicables en cas de violation des droits et obligations relatifs au principe de l’égalité des rémunérations.
Dans ce cas, l’actuelle et unique sanction contenue au sein du Code du travail luxembourgeois en cas de violation de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes s’avèrerait-elle suffisamment effective, proportionnée et dissuasive aux yeux du droit de l’Union ? Le Législateur luxembourgeois entend-t-il renforcer son arsenal répressif pour remplir les exigences de la Directive ?
Cette Directive offre donc de nouvelles perspectives pour permettre un renforcement du principe d’égalité des rémunérations entre les hommes et les femmes au sein des entreprises, qui devrait dorénavant perdurer et ne plus apparaître comme une situation d’exception.
Les États membres ont jusqu’au 7 juin 2026, au plus tard, pour transposer, en droit national, les dispositions de la Directive, qui n’est pas d’application directe. À ce jour, aucun projet de loi n’a encore été déposé au Luxembourg.
Nina Thiery, Paralegal & Knowledge Manager, CASTEGNARO, Ius Laboris Luxembourg
1 STATEC, Écart salarial entre hommes et femmes, Changement de paradigme, l’écart salarial est désormais en faveur des femmes au Luxembourg, 6 mars 2023.