Un arrêt récent de la Cour d’appel vient de préciser les conditions dans lesquelles les déplacements entre deux lieux de l’entreprise (en l’espèce, le dépôt de l’employeur et les chantiers) sont à considérer, ou pas, comme temps de travail.
La délimitation du temps de travail a un impact fondamental tant sur la rémunération, que sur la durée maximale de travail, ainsi que sur la notion d’heures supplémentaires. Il est donc essentiel de comprendre ce qui rentre dans la durée du travail, et ce qui en est exclu.
Légalement, la « durée du travail » est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur, à l’exclusion des temps de repos 1 . Cette analyse binaire semble limpide, et pourtant, elle laisse la porte ouverte à diverses interrogations.
Par exemple, est-ce qu’un salarié qui voyage ou se déplace sur demande de son employeur est à considérer comme étant en temps de travail, alors qu’il n’est pas contraint de travailler pendant ce déplacement, mais peut vaquer à ses occupations privées (lire, discuter sur des sujets privés etc.) ? De même, lorsque le salarié se déplace pour se rendre de son domicile à son lieu de travail, on pourrait considérer qu’il agit sur instruction de son employeur, puisqu’il est contraint d’effectuer ce déplacement pour commencer son travail… or, ce trajet n’est en principe pas considéré comme du temps de travail.
Un arrêt récent de la Cour d’appel 2 nous donne l’occasion de faire un rapide point sur le sujet.
1. Trajets et déplacements
Le Code du travail ne donne pas expressément de définition du temps de déplacement au regard de la durée du travail : ce dernier peut donc être soit un temps de travail, soit un temps de repos.
Il existe deux types de déplacements :
- Temps de déplacement entre plusieurs lieux de travail imposés par l’employeur (ex : déplacement entre deux clients) (i),
- Temps de trajet entre le lieu du domicile (choisi librement par le salarié) et le lieu de travail (imposé par l’employeur) (ii).
Le « lieu de travail » est, par définition, le lieu où le salarié travaille. Il convient tout d’abord de se référer au contrat de travail de chaque salarié pour le déterminer. Ainsi, un lieu de travail peut être, de façon classique, le siège de l’entreprise, où le salarié dispose d’un bureau à partir duquel il travaille, mais également tous les lieux dans lesquels le salarié exerce habituellement ses fonctions, à apprécier en fonction de la nature du poste: par exemple, chantiers de construction. Une clause de flexibilité prévoit par ailleurs souvent que le salarié peut, à la demande de son employeur, aller exécuter des missions sur d’autres lieux de travail (par exemple à l'étranger).
Dans ce cadre :
i. Le déplacement d’un lieu de travail à un autre lieu de travail constitue en principe du temps de travail pour toute la durée du déplacement, alors que le salarié se déplace a priori sur instruction de l’employeur, et en lien avec ses fonctions 3 (sous réserve que le salarié n’en profite pas pour vaquer à ses occupations personnelles – courses, etc. – bien sûr).
ii. Le trajet à partir du domicile pour se rendre au travail n’est en principe pas du temps de travail, car la journée de travail du salarié commence à partir de l’horaire d’arrivée au bureau, chantier, etc., et se termine à son départ. Le salarié, dont le lieu de résidence est librement choisi par lui, n’est pas contraint par l’employeur de partir d’un certain point, ni de suivre un certain trajet, ni d’effectuer un certain travail sur le trajet. Il peut par ailleurs faire les détours qu’il souhaite, pour des raisons personnelles, sa seule obligation étant de se présenter à l’heure sur son lieu de travail. Le salarié n’est donc pas à la disposition de son employeur sur ce trajet.
Cependant, dans certaines situations très particulières, sous certaines conditions cumulatives, le temps de trajet peut être considéré comme temps de travail 4 :
- le salarié doit être dans l’exercice de ses activités ou de ses fonctions pendant le temps de déplacement ;
- le salarié doit être à la disposition de l’employeur pendant le temps de déplacement ;
- le déplacement du salarié doit être consubstantiel à l’activité professionnelle du salarié (ex: commerciaux dont le travail consiste précisément à se déplacer d’un client à l’autre, pour les RV).
Le déplacement domicile – travail a notamment été considéré comme temps de travail, sous certaines conditions, pour les chauffeurs routiers 5 .
2. Tous les déplacements professionnels ne sont pas du temps de travail
La Cour d’appel 6 vient de rappeler que tous les déplacements professionnels ne sont pas du temps de travail.
Dans l’affaire commentée, le contrat de travail d’un chauffeur de camion prévoyait que « le lieu de travail du salarié dépendra de la localisation des chantiers ». Le chauffeur se déplaçait chaque jour par ses propres moyens jusqu’au dépôt de l’employeur. Si son camion s’y trouvait, il y commençait sa journée de travail. Si son camion se trouvait sur un chantier, le chauffeur utilisait, à partir du dépôt, la camionnette mise à disposition par l’employeur pour se déplacer sur le chantier où se trouvait son camion. Dans ce dernier cas, selon le chauffeur, son temps de travail devait déjà commencer à être décompté au dépôt, puisqu’il s’agissait d’un lieu de travail, et non au chantier. Le salarié estimait donc que le temps de déplacement entre le dépôt et le chantier était du temps de travail, donnant lieu à rémunération, et devant être pris en compte dans le calcul de la durée maximale de travail, ainsi que des heures supplémentaires. La Cour d’appel n’a cependant pas suivi ce raisonnement.
Pour la Cour d’appel, le temps de trajet du dépôt au chantier où se trouve le camion n’est pas du temps de travail, dans les conditions suivantes :
a) Le salarié n’est pas obligé, à partir de son domicile, de passer par le dépôt avant de se rendre au chantier. Il se rend de son domicile au dépôt de son propre choix, et sans nécessité de service : l’employeur n’impose pas au chauffeur de passer par le dépôt, et ce dernier n’a pas de nécessité d’y passer pour des raisons de service, telles que la prise d’ordres de roulement ou le changement de tenue au vestiaire.
b) Pendant le transport en camionnette, le salarié ne reçoit pas de consignes de son employeur, mais est libre de dormir, lire ou parler de choses privées.
c) Selon l’article 20.4 de la convention collective applicable 7 , ce n’est que pour le chauffeur de la camionnette qui amène et ramène les salariés sur les chantiers, que le temps de trajet est considéré comme temps de travail (non productif), et non pour les passagers de la camionnette.
En conclusion, il est fondamental de rédiger avec soin notamment la clause relative au lieu de travail, au sein du contrat de travail, et de tenir compte des conditions de déplacement des salariés, afin de déterminer dans quelle mesure les déplacements constituent, ou pas, du temps de travail.
Par Dorothée David, Head of Knowledge, CASTEGNARO-Ius Laboris Luxembourg
1 Article L. 211-4 du Code du travail
2 Cour d’appel, 12 mars 2020, n° CAL-2018-00910 du rôle
3 Cour d’appel, 23 mars 2015, n° 40684 du rôle
4 Cour de justice de l’Union européenne, 10 septembre 2015, affaire C-266/14
5 Cour de justice des Communautés européennes (ancien nom de la Cour de justice de l’Union européenne), 18 janvier 2001, affaire C-297/99
6 Cour d’appel, 12 mars 2020, n° CAL-2018-00910 du rôle
7 Convention collective de travail pour le bâtiment, article 20.4 : « Le salarié qui, avec sa voiture ou avec un moyen de transport de l’entreprise (hormis l’autobus), effectue le transport de salariés sur demande de l’employeur, a droit au paiement du temps de voyage comme temps de travail non productif. »