Salarié capable de reprendre le travail selon le médecin-conseil du Contrôle Médical de la Sécurité Sociale (CMSS)… mais inapte à son poste de travail selon le médecin du travail : quel comportement l’employeur doit-il adopter ?
Un arrêt de la Cour d’appel du 11 juin 2020 [1] ainsi qu’un arrêt de la Cour de cassation du 14 octobre 2021 [2] viennent apporter des précisions à cet égard.
Tout d’abord, à titre de rappel :
- que ce soit dans le cadre de l’embauche d’un salarié [3] ou dans le cadre de l’exécution du contrat de travail, l’employeur doit s’assurer que le salarié soit apte à occuper son poste de travail, et ce dernier ne peut continuer à l’employer à un poste pour lequel il a été déclaré inapte par le médecin du travail [4] . L’employeur a l’obligation, dans un tel cas de figure, de réaffecter le salarié, dans la mesure du possible, à un autre poste de travail [5] ; ce n’est qu’à défaut de poste adapté disponible, qu’un licenciement pourrait le cas échéant, être envisagé pour inaptitude au travail ;
- le médecin du travail a pour mission de vérifier l’aptitude du salarié à occuper son poste de travail (i.e. de manière générale, indépendamment d’un éventuel état passager de maladie) [6] , tandis que les contrôles effectués par le médecin-conseil du CMSS consistent à vérifier si le salarié est capable ou incapable de reprendre son activité professionnelle [7] .
Dans l’affaire commentée, une salariée, occupée en qualité d’employée logistique, et en incapacité de travail depuis juillet 2015, avait été informée, le 15 décembre 2015, par la Caisse Nationale de Santé (CNS), que, suite à l’avis du médecin-conseil du CMSS, les certificats d’incapacité de travail établis au cours des semaines qui suivraient ne seraient plus opposables à l’organisme de sécurité sociale, dans la mesure où cette dernière avait été trouvée capable de reprendre le travail à compter du 4 janvier 2016.
L’employeur a, le 11 janvier 2016, conformément à la loi [8] , averti le médecin du travail de la reprise de travail imminente de la salariée, après une incapacité de travail ininterrompue de plus de 6 semaines.
Suite au contrôle médical, le médecin du travail a déclaré, le 14 janvier 2016, la salariée inapte à occuper son dernier poste de travail avec effet à la même date.
Ainsi, l’employeur se trouvait confronté à un courrier de la CNS [9] indiquant que la salariée était capable de reprendre son poste, ainsi qu’à un courrier du médecin du travail, l’informant de son côté que la salariée était inapte à reprendre son poste.
Face à l’absence de démarches de l’employeur suite aux demandes de la salariée consistant notamment à être réaffectée, sinon à défaut, à être licenciée pour inaptitude, et eu égard au fait qu’elle ne percevait plus d’indemnités pécuniaires de la part de la CNS, ni aucune rémunération de la part de son employeur, cette dernière a résilié avec effet immédiat son contrat de travail.
La salariée a ensuite saisi la juridiction du travail, afin de voir constater la faute grave de son employeur et partant, requalifier sa démission avec effet immédiat en licenciement abusif.
La Cour d’appel a, à l’instar du Tribunal du travail, retenu que le fait de ne pas tenter de réaffecter la salariée suite à une décision d’inaptitude émise par le médecin du travail, sinon de ne pas la licencier pour inaptitude, constitue une faute grave dans le chef de l’employeur, aux motifs que :
- l’employeur a violé le principe d’exécution de bonne foi des contrats en ne se manifestant pas, respectivement, en ne répondant pas aux demandes de la salariée, faisant ainsi preuve d’une « attitude récalcitrante » ;
- l’employeur aurait dû, à défaut d’être informé par le médecin du travail de la saisine de la Commission Mixte de Reclassement (CMR), s’enquérir auprès du médecin du travail des suites réservées à la décision d’inaptitude préalablement rendue par ce dernier ;
- en ne réaffectant pas la salariée à un poste compatible à son état de santé, sinon en n’incitant pas le médecin du travail à saisir la CMR en lui démontrant que les conditions légales pour ce faire étaient remplies, sinon en ne licenciant pas la salariée pour inaptitude, « l’employeur a fait preuve d’une négligence fautive ».
La démission de la salariée était donc à considérer comme un licenciement abusif.
L’employeur a, par la suite, introduit un pourvoi en cassation à l’encontre de l’arrêt rendu par la Cour d’appel, car selon lui, la Cour aurait dû retenir que les décisions de la CNS relatives à la capacité de travail de la salariée s’imposant à l’entreprise, il n’avait pas l’obligation de tenter de la réaffecter.
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi de l’employeur, car :
- « les juges d’appel n’avaient pas à se prononcer sur l’avis du médecin-conseil du Contrôle médical de la sécurité sociale relatif à la capacité de travail de la salariée » ;
- les juges d’appel ont eu raison de se limiter à apprécier si « l’employeur, dont la salariée a été déclarée inapte par le médecin du travail à occuper son dernier poste, a commis une faute grave dans l’exécution du contrat de travail eu égard à l’obligation qui lui incombait d’affecter la salariée, dans la mesure du possible, à un autre poste de travail ».
En conclusion, il peut paraître surprenant que la Cour d’appel ait considéré comme une faute grave de l’employeur, par défaut de bonne foi dans l’application du contrat de travail, le fait (i) de ne pas avoir incité le médecin du travail à saisir la CMR en lui prouvant que les conditions légales étaient remplies et (ii) de n’avoir entrepris aucune démarche pour licencier la salariée à défaut de réaffectation possible, alors que le Code du travail ne prévoit pas de telles obligations pour l’entreprise.
Il n’en reste pas moins qu’en cas d’inaptitude constatée par le médecin du travail, il convient de retenir que l’employeur doit a minima tenter de réaffecter le salarié déclaré inapte (et ce, même si le médecin-conseil du CMSS retient de son côté que le salarié est capable de reprendre son poste), afin de ne pas se voir reprocher une faute grave.
Écrit par Alyssia Méchalikh, Avocat à la cour - Associate, CASTEGNARO-Ius Laboris Luxembourg
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[1] Cour d’appel, 11 juin 2020, n°CAL-2018-00348 du rôle.
[2] Cour de cassation, 14 octobre 2021, n°CAS-2020-00127 du registre.
[3] Article L. 326-1 du Code du travail.
[4] Article L. 326-9 (3) du Code du travail.
[5] Article L. 326-9 (4) du Code du travail.
[6] Article L. 326-9 du Code du travail.
[7] Articles 191 et 213 des statuts de la CNS (et article 418 du Code de la sécurité sociale).
[8] Article L. 326-6 du Code du travail.
[9] A noter que la CNS a continué à informer l’employeur de son refus de prendre en charge les incapacités de travail de la salariée au cours de l’année 2016, au motif que cette dernière était capable de reprendre le travail. La salariée avait formé plusieurs oppositions contre les décisions de la CNS, toutefois, celles-ci avaient été refusées (l’employeur avait été informé des recours introduits par la salariée et du refus de la CNS d’y faire droit).