Avec le confinement et les mesures sanitaires, beaucoup d’acteurs économiques souffrent. Après les relations entre les locataires commerciaux et leurs bailleurs, de nombreuses d’incertitudes juridiques demeurent, notamment, pour les locataires qui peuvent continuer leurs activités mais accusent une baisse de leur chiffre, et un peu moins, pour les commerces qui ont dû fermer. Avec la reprise des chantiers, les promoteurs et entrepreneurs tentent, à présent, de tirer leur épingle du jeu.
Beaucoup d’acquéreurs en état futur d’achèvement se sont vu notifier récemment des courriers et/ou des avenants pour annoncer que leur chantier va prendre du retard, voire même qu’ils doivent supporter des surcoûts.
Il est vrai que suite aux mesures sanitaires de confinement mises en place, de plus en plus d’acteurs économiques connaissent des difficultés de liquidité.
Les aides gouvernementales étant pour partie inadéquates et peinent souvent à arriver, certaines entreprises ont eu tendance à ne pas payer leurs fournisseurs. Cette technique présente un grave risque systémique, même si les tribunaux ne prononcent pour l’instant pas de faillites et tardent à délivrer des titres aux créanciers impayés. Cette tendance ne signifie toutefois pas que la crise profite aux mauvais payeurs car des moyens juridiques efficaces existent pour y remédier.
Avec la réouverture des chantiers sous certaines conditions à partir du 20 avril 2020, les promoteurs et constructeurs se tournent maintenant vers leurs clients-acquéreurs en état futur d’achèvement.
Force est de constater que les mesures d’hygiène et de sécurité sur les chantiers ont dû être adaptées et les entrepreneurs attendent du maître d’ouvrage qu’il supporte les coûts additionnels engendrés par ces dispositions, en sollicitant un surcoût de quelques pourcents par rapport au marché initial. De plus, ils indiquent que des retards de livraison sont à prévoir.
Il convient de s’intéresser quant à licéité des prétentions des constructeurs, face à un contexte exceptionnel et des figures juridiques qui sont susceptibles de trouver application.
Est-ce qu’une partie peut unilatéralement obliger son cocontractant à réviser les termes du contrat ?
La force majeure
Il ne s’agit pas d’un moyen pour réviser les termes du contrat mais il est courant de faire référence à la théorie de la « force majeure » lors de problèmes d’exécution du contrat. Elle découle des axiomes latins « Ubi maior, minor cessat » et « Nemo impossibilia tenetur ».
Ce principe figure à l’article 1148 du Code civil : « il n’y a lieu à aucun dommages-intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit ».
En l’absence de définition expresse entre parties, la jurisprudence a développé trois conditions que doit nécessairement remplir la force majeure : extériorité, imprévisibilité et irrésistibilité.
Sans trop rentrer dans le détail, la condition de l’irrésistibilité mérite discussion car celle-ci doit être totale et définitive, l’impossibilité temporaire ou partielle ne constituant pas un cas de force majeure.
Les opérateurs du secteur immobilier ont bien évidemment rencontré des difficultés d’exécution, mais il est discutable que les 36 jours d’interruption des chantiers (du 16 mars au 20 avril 2020) et les nouvelles mesures d’hygiène (énumérées dans le Règlement grand-ducal du 17 avril 2020 portant introduction d’une série de mesures en matière de sécurité et santé au travail dans le cadre de la lutte contre le Covid-19) suffisent à remettre en cause l’économie du contrat.
La théorie dite de l’imprévision
À cet égard, la théorie dite de l’imprévision semble bien plus pertinente : il s’agit de la possibilité de revoir le contrat par la survenance de circonstances imprévisibles rendant l’exécution excessivement onéreuse pour les cocontractants.
L’imprévision constitue une exception majeure au principe de la force obligatoire des contrats et elle dérive de l’obligation qui incombe aux parties d’exécuter le contrat de bonne foi.
La théorie de l’imprévision existe en droit allemand et a connu des applications prétoriennes en droit administratif français avant d’être codifiée par le nouvel article 1195 du Code civil français. Elle permet au juge de modifier les dispositions contractuelles au changement des conditions de l’exécution, qui ne pouvaient pas être raisonnablement prévues lors de la conclusion du contrat :
« Si un changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ».
Pour le moment cette théorie n’a pas été expressément entérinée par les tribunaux luxembourgeois, de sorte que les constructeurs devraient espérer un revirement de jurisprudence pour prospérer dans leurs prétentions, ce qui d’ailleurs n’est pas forcément exclu dans les conditions sans précédent qui caractérisent cette pandémie, qui a déjà bouleversé de nombreuses habitudes.
Le rempart des détracteurs de la théorie de l’imprévision a toujours été l’arrêt historique de la Cour de cassation française « Canal de Craponne », suivant lequel le contrat cristallise la loi immuable entre parties et aucun juge ne saurait, au nom d’un principe d’équité, porter atteinte à la force obligatoire de la loi des parties.
« Pzcta sunt servanda » disaient les romains, ce qui constitue le principe le plus ancien du droit international public et, à bien y réfléchir, un principe à la base de toute civilisation humaine, pour citer Rousseau et son « Contrat social ».
À la lumière de ce qui précède, les contrats peuvent prévoir une clause dite de « Hardship », qui permet à l’une comme à l’autre des parties signataires d’exiger que s’ouvre une nouvelle négociation, lorsque la survenance d’un évènement bouleverse gravement l’équilibre des prestations prévues au contrat.
Il est également possible de prévoir d’autres stipulations contractuelles qui permettent d’avoir un peu plus de flexibilité dans l’exécution des contrats en l’absence de fondement règlementaire pour exiger une adaptation en fonction des circonstances de l’espèce.
En tout état de cause, le débat reste ouvert et le mot de la fin est loin d’être donné. Pour l’instant, il convient de dire que la crise ne profite à personne mais avec la réouverture imminente des tribunaux, il sera intéressant de suivre les éventuelles évolutions jurisprudentielles eu égard aux circonstances exceptionnelles récentes.
Toujours est-il qu’avant d’en arriver là, pour l’une ou pour l’autre partie, une concertation avec l’avocat pourrait aider pour réexaminer les contrats, les modifier ou renégocier, voire pour analyser les enjeux et les meilleures options au cas par cas. Les premières situations de blocage se profilent, faute d’avancée constructive entre les parties qui insistent sur leur position et l’avocat conciliateur pourrait alors aider les parties à trouver une solution qui convienne à tous.