A la crise sanitaire suivra la crise économique. Les deux crises sont causées par la pandémie du Covid-19; la première directement, la seconde indirectement. Les deux crises représentent une menace pour les droits de l’homme; la première pour le droit à la vie et le droit à la santé, la seconde pour le droit au travail, le droit à la propriété et pour bien d’autres droits humains.
Les Etats ont l’obligation de faire respecter les droits humains sur les territoires sous leur juridiction. Les entreprises ont une responsabilité de respecter les droits humains, à l’intérieur de leurs organisations et tout au long de leurs chaînes de valeur économique. A Luxembourg, cette obligation de l’Etat et cette responsabilité des entreprises sont clairement exprimées dans les deux éditions du plan d’action national qui vise la mise en oeuvre des principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme.
La gravité de la pandémie du Covid-19 engendre des conséquences sans précédent pour la vie et le bien-être des hommes, des femmes et des enfants autour du globe ainsi que pour le bon fonctionnement de l’économie mondiale et des entreprises de toutes tailles. L’obligation des Etats de protéger les droits humains et la responsabilité des entreprises de les respecter méritent d’être analysées sous cette nouvelle lumière.
Les circonstances exceptionnelles appellent des mesures exceptionnelles. Rarement cet adage aura été plus à propos qu’aujourd’hui. Ceci dit, la crise du Covid-19 ne doit pas servir comme excuse pour imposer des restrictions inappropropriées à la jouissance des droits humains. La Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme Michelle Bachelet et le Haut-Commissaire des Nations Unies aux réfugiés Filippo Grandi décrivent le dilemne sans fioritures: „The coronavirus outbreak is a test to our systems, values and humanity.“
Qu’est-ce qu’un gouvernement est sensé faire en pareilles circonstances? Que peut-on attendre dans ce contexte de la part des entreprises? – Michelle Bachelet souligne à raison que „c’est par temps de crise que les valeurs liées aux droits humains peuvent nous guider dans la bonne direction“.
L’obligation des Etats de faire respecter les droits humains par temps de crise du Covid-19
Les mesures exceptionnelles qu’un Etat ou un gouvernement peut prendre en case de crise, s’apprécient dans le cadre des règles internationales et nationales en place.
Les mesures de crise en droit international
Il est clairement reconnu que les Etats et les gouvernements du monde entier doivent prendre des décisions difficiles pour répondre de manière efficace à la pandémie. Le droit international permet le recours à des mesures exceptionnelles en réaction à des menaces significatives, et, à cet égard, le Bureau du Haut Commissaire aux droits de l’homme a publié des orientations qui précisent les conditions auxquelles des mesures exceptionnelles doivent se conformer afin de garantir le respect des droits humains, même pendant les périodes qui exigent des prioritisations et des prises de décision difficiles:
Les mesures exceptionnelles doivent être proportionnelles au risque identifié, nécessaires et mises en œuvre de manière non discriminatoire. Elles doivent donc avoir un but et une durée déterminés et constituer l’approche la moins intrusive possible pour protéger la santé publique.
Dans le cadre de la COVID-19, les pouvoirs d’urgence doivent être utilisés pour des objectifs de santé publique légitimes, et non pas pour faire taire l’opposition ni réduire au silence les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes. Certains droits sont intangibles, notamment le principe de non-refoulement, l’interdiction des expulsions collectives, l’interdiction de la torture et des mauvais traitements et le recours à la détention arbitraire.
Les gouvernements doivent expliquer à la population touchée ce que signifie l’état d’urgence, dans quelle mesure il s’applique et la durée pour laquelle il est censé rester en vigueur.
A mesure que la crise s’estompera, il sera important que les gouvernements réintroduisent une certaine normalité et n’utilisent pas les pouvoirs d’urgence pour réglementer indéfiniment la vie quotidienne, et reconnaissent que les mesures prises doivent correspondre aux besoins des différentes phases de cette crise.
Base légale des mesures exceptionnelles mise en place à Luxembourg
La reconnaissance d’un état de crise „comporte l’idée que l’existence d’une menace à la vie d’une nation, des mesures exceptionnelles en-dehors des normes légales et de l’ordre constitutionnel peuvent être nécessaires pour écarter la menace“. Ces mesures doivent être temporaires et permettre à l’Etat de revenir vers l’ordre légal normal, une fois que la menace a disparu.[1] De nombreuses constitutions nationales contiennent des dispositions qui permettent le recours à des mesures exceptionnelles par temps de crise.
Au Luxembourg, l’article 32, al.4 de la Constitution (Révision du 13 octobre 2017) prévoit les principaux éléments applicables en cas de crise. Cet article constitue la base légale primaire pour introduire des mesures exceptionnelles du type de celles décidées pour combattre la pandémie du Covid-19 :
„En cas de crise internationale, de menaces réelles pour les intérêts vitaux de tout ou partie de la population ou de péril imminent résultant d’atteintes graves à la sécurité publique, le Grand-Duc, après avoir constaté l’urgence résultant de l’impossibilité de la Chambre des Députés de légiférer dans les délais appropriés, peut prendre en toutes matières des mesures réglementaires. Ces mesures peuvent déroger à des lois existantes. Elles doivent être nécessaires, adéquates et proportionnées au but poursuivi et être conformes à la Constitution et aux traités internationaux. La prorogation de l’état de crise au-delà de dix jours ne peut être décidée que par une ou plusieurs lois votées dans les conditions de l’article 114, alinéa 2 de la Constitution, qui en fixe la durée sans que la prorogation ne puisse dépasser une durée maximale de trois mois. Tous les règlements pris en vertu de la présente disposition cessent leurs effets au plus tard à la fin de l’état de crise. La Chambre des députés ne peut être dissoute pendant l‘état de crise.“
En date du 18 mars 2020, le gouvernement luxembourgeois a invoqué l’artcile 32, al.4 de la Consitution et a adopté un règlement grand-ducal pour introduire une série de mesures dans le contexte de la lutte contre le Covid-19. En référence à l’évaluation que l’OMS a faite de la situation, le règlement qualifie la pandémie du Covid-19 comme une menace réelle contre les intérêts vitaux de la population qui nécessite l’adoption de mesures urgentes et immédiates devenues indispensables pour protéger la population, et déclare par conséquent un état de crise. En accord avec les dispositions de la Constitution, cet état de crise a été prolongé pour trois mois par l’adoption de la loi du 24 mars 2020 par la Chambre des députés.
Les mesures réglementaires exceptionnelles face aux standards internationaux
Beaucoup d’Etats, y compris tous les Etats membres de l’Union européenne, ont introduit des mesures restrictives pour freiner la propagation du Covid-19. Certaines de ces mesures comportent une forme de quarantaine, de distanciation physique et sociale, la suspension de réunions de foules de personnes, des confinements à domicile, des fermetures de commerces non-essentiels, des restrictions de voyages etc. Ces restrictions ont des conséquences directes sur la jouissance des droits humains tels qu’inscrits dans les instruments juridiques internationaux de droits de l’homme. Une liste non limitative comporte ainsi, entre autres, le droit à la liberté et à la sécurité, le droit à la vie privée, la liberté d’expression, le droit à l’information, la liberté d’association, de religion et de mouvement. Par ailleurs, ces restrictions peuvent avoir des conséquences disproportionnées pour des groupes particuliers, tels que par exemple les enfants, les personnes âgées, les femmes, les personnes handicapées et les réfugiés.
Dans son observation générale n°14, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CESCR) de l’ONU souligne que tous ces droits et libertés ainsi que d’autres font partie intégrante du droit à la santé. Le Comité rappelle également que le droit à la santé comporte la prophylaxie et le traitement des maladies épidémiques, endémiques, professionnelles et autres, ainsi que la lutte contre ces maladies par une variété de mesures de contrôle dont certaines peuvent être restrictives: „La lutte contre les maladies suppose des efforts individuels et communs de la part des Etats pour, notamment, assurer l’accès aux techniques nécessaires, appliquer et améliorer les méthodes de surveillance épidémiologique et de collecte de données désagrégées et mettre en place des programmes de vaccination et d’autres stratégies de lutte contre les maladies infectieuses ou améliorer les programmes existants“.[2]
Dans ce conetxte, il est utile de rappeler qu’en vertu du droit international des droits de l’homme, certains droits humains et libertés fondamentales sont des droits absolus, comme par exemple le droit à la vie, la protection contre la torture, des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et l’esclavage. Ces droits et libertés ne souffrent pas de restrictions ou de dérogations. Ceci dit, la plupart des autres droits humains ne sont pas des droits absolus et peuvent être limités pour des raisons variées tenant à la protection de la santé publique.
Les standards de droits de l’homme internationaux fixent des critères clairs à la mise en place de telles limitations. Au paragraphe 28 de l’observation générale n°14, le CESCR note que „de telles restrictions doivent être conformes à la loi, y compris aux normes internationales relatives aux droits de l‘homme, compatibles avec la nature des droits protégés par le Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels et imposées dans l’intérêt de buts légitimes, exclusivement en vue de favoriser le bien-être général dans une société démocratique“. Par ailleurs, de telles limitations doivent être proportionnelles, c.-à-d. que l‘alternative la moins restrictive doit être adoptée au cas où plusieurs types de limitations seraint disponibles“, et „elles doivent être de durée limitée et soumises à révision“.
Les Principes de Syracuse concernant les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui autorisent des restrictions où des dérogations, adoptés par le Conseil économique et social des Nations Unies en 1984, rappellent des conditions similaires. Les Principes de Syracuse soulignent notamment dans leur article 25 que „la santé publique peut être invoquée comme raison pour limiter certains droits afin de permettre à un Etat de prendre des mesures visant à éviter une menace sérieuse à la santé de la population ou de membres individuels de la population. Ces mesures doivent être spécifiquement ciblées pour prévenir des maladies ou blessures ou pour apporter des soins aux malades ou blessés“.
Par ailleurs, les traités de droits de l‘homme signés par le Luxembourg permettent la déclaration d‘un état de crise dans des conditions exceptionnelles, telles que celle provoquée par le Covid-19. Le Pacte international sur les droits civils et politiques prévoit notamment dans son article 4 que „dans le cas où un danger public exceptionnel menace l’existence de la nation et est proclamé par un acte officiel, les Etats parties au présent Pacte peuvent prendre, dans la stricte mesure où la situation l’exige, des mesures dérogeant aux obligations prévues dans le Pacte, sous réserve que ces mesures ne soient pas incompatibles avec les autres obligations que leur impose le droit international et qu’elles n’entraînent pas une discrimination fondée uniquement sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l’origine sociale“.
La Convention européenne sur la protection des droits de l‘homme et des libertés fondamentales (article 15) et la Charte sociale européenne (partie V, art. F) comprennent des dispositions similaires.
Parmi les nombreux Etats qui ont eu recours à des pouvoirs exceptionnels, un certain nombre ont choisi de déroger également à leurs obligations sous l‘empire de certains traités internationaux de droits de l’homme. La question se pose si de telles dérogations mettant entre paranthèses les dispositions de traités internationaux, est souhaitable pour répondre à la crise actuelle du Covid-19. La réponse donne lieu à discussion. D‘un côté, la notification des mesures qui dérogent à des obligations de droits de l‘homme aux institutions internationales compétentes peut avoir l‘effet positif de contraindre l‘Etat en question d‘articuler clairement ces mesures d‘urgence en termes de nécessité, de proportionalité, des exigences de la situation, de limitation dans le temps et d‘engagement pour les droits humains en tant que cadre pour des mesures d‘urgence légitimes. D‘un autre côté, en cas de pandémie, les dérogations ne sont pas particulièrement utiles et risquent d‘envoyer le message ambigü que l‘Etat en question envisage de limiter ses engagements en matière de droits humains. En effet, le recours aux déclarations de dérogation ne font pas la différence dans le cadre de la crise du Covid-19, étant donné que les clauses de limitiation mentionnées ci-dessus opéreront le même effet sans devoir recourir à des dérogations officielles.
Le professeur Martin Scheinin[3] propose une attitude intermédiaire à ce propos: „Au vu du risque d‘abus, il apparaît que le recours au principe de normalité est de mise, c.-à-d. de gérer la crise au moyen des pouvoirs et des procédures normalement applicables et d‘insister au respect plein et entier des droits humains, tout en introduisant des restrictions nécessaires et proportionnelles, sur base d‘un besoin social pressant causé par la pandémie“. Il donne donc la préférence aux restrictions légitimement permises, à moins que ces options disponibles ne se révèlent insuffisantes face au Covid-19.
Par ailleurs, en choisissant de ne pas déroger à ses obligations de droits humains, l‘Etat signale clairement qu‘en dépit des circonstances difficiles qu‘il reste fidèle aux standards les plus élevés de protection des droits de l‘homme et reste persuadé que les mesures exceptionnelles adoptées sont justifiées sous l‘empire des clauses de limitation.
Les mesures réglementaires exceptionnelles prises par le gouvernement luxembourgeois
Afin de garantir le droit à la vie et le droit à la santé pour toutes et tous, le gouvernement a adopté plusieurs mesures pour contenir la propagation rapide du virus. En celà, le règlement grand-ducal du 18 mars 2020 et d‘autres mesures décidées ont inévitablement introduit des changements dramatiques dans la vie quotidienne des citoyens, affectant par là-même la jouissance de droits humains et de libertés fondamentales.
La liberté de mouvement a été limitée par la décision ministérielle du 18 mars 2020, à l‘exception des déplacements pour des activités essentielles, à condition de respecter une distanciation sociale et physique de deux mètres entre les individus. Toutes les activités de loisirs, culturelles, sociales et sportives ont été suspendues. Toutes les activités commerciales et artisanales sont interrompues, sauf en ce qui concerne les biens et services essentiels. Les sites de construction avaient été fermés, sauf pour les hôpitaux et les infrastructures critiques. Certaines activités jugées essentielles pour le maintien des intérêts vitaux pour la population, telles que certains services publics, les soins sanitaires, le transport public, la production et la distribution de l‘électricité et de l‘eau sont maintenues. Tout déplacement non spécifiquement déclaré comme essentiel est passible d‘une amende.
Toutes les mesures exceptionnelles adoptées jusqu‘ici par le gouvernement, sous l‘empire de l‘état de crise, sont en ligne avec les critères de limitations prévus par les standards de droits de l‘homme internationaux. Par conséquent, elles sont en conformité des obligations du Luxembourg en matière de droits de l‘homme. Elles ont été adoptées dans le plein respect de la loi, en vue de protéger la santé publique et elles sont nécessaires, temporaires et adaptées, eu égard de la gravité de la pandémie. En fin de compte, l‘évaluation de la conformité des mesures en général devra s‘apprécier au vu de l‘évaluation de circonstances individuelles par rapport aux critères de limitation. Ceci dit, pour le moment des mesures strictes semblent indispensables pour répondre à l‘envergure de la crise mondiale actuelle qui doit continuer à faire l‘objet d‘une observation constante au vu des standards de droits de l‘homme.
La responsabilité des entreprises de respecter les droits humains par temps de crise du Covid-19
Dans une déclaration conjointe intitulée « An unprecedented private sector call to action to tackle Covid-19 », l’OMS et la Chambre de commerce internationale soulignent « le rôle clé que les entreprises doivent jouer pour minimiser la probabilité de transmission et l’impact sur la société ». Si le rôle clé des entreprises est évident, il est également important de rappeler que les entreprises ont la responsabilité d’atténuer activement l’impact de la crise actuelle. Cette responsabilité consiste à prendre des mesures immédiates et efficaces pour protéger leurs travailleurs, leurs clients et les communautés locales et contribuer à la production et à la distribution de fournitures essentielles. Le cadre « Entreprises et droits de l’homme » fournit une base solide pour que les entreprises puissent remplir leur rôle et assumer leur responsabilité.
L’obligation principale de faire respecter les droits de l’homme incombe aux gouvernements, y compris en période de crise. Toutefois, de nombreuses normes mondiales indiquent clairement que les entreprises ont la responsabilité de respecter les droits de l’homme, y compris dans des circonstances exceptionnelles comme la pandémie actuelle. Les principes directeurs des Nations unies, mis en œuvre au Luxembourg dans le cadre du plan d’action national sur les « entreprises et les droits de l’homme » qui a été mis à jour en décembre 2019, sont devenus encore plus pertinents dans le contexte actuel. Selon les Principes directeurs, toutes les entreprises, indépendamment de leur taille, de leur secteur et de leur lieu d’implantation, ont la responsabilité de respecter les droits de l’homme. Cette responsabilité a été confirmée aussi par l’Organisation internationale du Travail, l’Organisation de coopération et de développement économiques et le Pacte mondial des Nations Unies.
Selon les principes directeurs, “[a]fin de s’acquitter de cette responsabilité, les entreprises doivent disposer de politiques et de processus pour prévenir et atténuer tout risque d’être à l’origine d’incidences négatives ou d’y contribuer. Si des entreprises constatent qu’elles ont néanmoins eu des incidences négatives ou y ont contribué, elles doivent y remédier, ou coopérer aux efforts pour y remédier. Les entreprises doivent aussi veiller à prévenir ou atténuer toute incidence négative directement liée à leurs activités, produits ou services du fait de leurs relations commerciales”.
Le principal moyen pour les entreprises d’identifier et de traiter les impacts sur les droits de l’homme est de procéder à une diligence raisonnable en matière de droits de l’homme. On comprend par diligence raisonnable « le processus continu qui consiste à identifier les incidences négatives sur les droits de l’homme qu’une entreprise peut avoir ou auxquelles elle peut contribuer par ses activités ou produits et dans l’ensemble de ses réseaux de fournisseurs et de partenaires commerciaux ». La diligence raisonnable doit aussi comporter des évaluations de procédures et de systèmes internes ainsi qu’un dialogue avec les groupes potentiellement menacés par ses activités”. La crise actuelle exige une vigilance accrue de la part de toutes les entreprises.
La responsabilité de respecter les droits de l’homme vaut, au moins, pour tous les droits internationalement reconnus tels qu’ils sont consacrés dans la Charte internationale des droits de l’homme et dans la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail. Toutefois, compte tenu des circonstances exceptionnelles actuelles, les entreprises doivent envisager des normes supplémentaires en matière de droits de l’homme.
La crise a montré à suffisance la précarité des groupes vulnérables de travailleurs et le risque inhérent à des sous-traitances inconsidérées et exagérées de services publics par les collectivités publiques à des acteurs du secteur privé. Les conséquences négatives sur la sécurité et la santé des travailleurs, l‘impact sur les chaînes d‘approvisonnement et sur la vie privée sont des phénomènes qui sont exacerbés par la crise actuelle.
Les menaces pour le respect du droit à la vie privée par exemple illustrent bien les responsabilités conjointes du gouvernement et du secteur privé, notamment en ce qui concerne l’utilisation des technologies digitales pour suivre et contrôler les personnes et le traitement de leurs données personnelles. La Commission nationale de protection des données (CNPD) rappelle que, dans un cadre professionnel, les acteurs privés et publics ont l‘obligation légale d‘assurer la sécurité et la santé de leurs salariés et agents sur le lieu du travail (article L.312-1 du Code de travail). Afin de limiter les risques, ils doivent, à ce titre, mettre en oeuvre des actions de prévention, d‘information et de formation et établir des consignes internes.
Les acteurs pourront communiquer aux autorités sanitaires qui le demanderaient les éléments liés à la nature de l’exposition, nécessaires à une éventuelle prise en charge sanitaire ou médicale de la personne exposée. De leur côté, chaque employé ou agent doit pour sa part mettre en œuvre tous les moyens afin de préserver la santé et la sécurité d’autrui et de lui-même (article L.313-1 du Code du travail) : il doit, en principe, informer son employeur en cas de suspicion de contact avec le virus.
Enfin, des données de santé peuvent être collectées par les autorités sanitaires, qualifiées pour prendre les mesures adaptées à la situation. L’évaluation et la collecte des informations relatives aux symptômes du coronavirus et des informations sur les mouvements récents de certaines personnes relèvent de la responsabilité de ces autorités publiques.
Conclusion
La gravité de la pandémie du Covid-19 nous a tous pris par surprise. Aujourd’hui nous devons faire preuve de résilience et de détermination pour sortir de la crise sanitaire et pour affronter les effets de la crise économique. Des obligations et des responsabilités spécifiques incombent à cet égard aux gouvernements, respectivement aux entreprises. Il faut espérer que la nature collective de nos institutions publiques et de nos organisations privées nous aidera pour être à la hauteur des défis.
Le succès de la démarche dépendra, entre autres, de notre volonté et de notre capacité de repenser et de réorganiser nos manières de produire, de consommer et de vivre ensemble, dans le souci d’un véritable développement durable, avec, au centre, les droits humains.
[1] David Kretzmer, State of Emergency, Max Planck Encyclopedia of Public International Law (MPEPIL), février 2008.
[2] CESCR Observation générale n°14 : Le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint (art. 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels) adoptée à la 22e session du CESCR, en date du 11 avril 2000.
[3] Ancien Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’Homme et le contre-terrorisme, ancien membre du Comité des droits de l’Homme (au moment de l’adoption de l’observation générale n°29 sur l’état de crise – CCPR/C/21/Rev.1/Add.11).