Le gouvernement luxembourgeois n’a pas encore émis à ce jour de règles strictes sur la conduite à suivre par les entreprises luxembourgeoises face au risque croissant de propagation du coronavirus.
Ce dernier a cependant émis des recommandations afin de freiner le risque de contamination 1 .
En vertu de la loi, l’employeur est tenu d’assurer la sécurité et la santé des salariés (i.e. tant ceux qui reviennent de zones à risque par le coronavirus que les salariés n’ayant pas voyagé dans de telles zones mais susceptibles d’être contaminés par les premiers) sur le lieu de travail en général, et dans tous les aspects liés au travail, ainsi que d’exécuter une telle obligation de bonne foi.
Cette obligation constitue une obligation de résultat à l’égard de l’employeur, de sorte qu’il ne saurait s’exonérer de sa responsabilité en indiquant qu’il a fait tout son possible pour essayer de protéger au mieux ses salariés.
De plus, le bon fonctionnement de l’entreprise nécessitant la présence de tous, il est également dans l’intérêt opérationnel de l’entreprise de tenter de contenir au mieux le risque de propagation du virus.
Il revient par conséquent à l’employeur d’évaluer les risques en tenant compte des aspects légaux et de la réalité des faits, et d’agir en conséquence.
Focus sur les principales mesures que peuvent mettre en place, respectivement, qui ont déjà été mises en place par les employeurs au travail :
1. Mise en place de précautions minimales
Il serait judicieux que l’employeur équipe son établissement de produits de désinfection pour les mains, et communique aux salariés les recommandations sanitaires telles qu’édictées par le Ministère de la santé (i.e. se laver régulièrement les mains, éviter de serrer les mains, contacter sans délai l’inspection sanitaire en cas de doute, etc.).
A cet égard, l’employeur est tenu de suivre quotidiennement l’évolution de la situation en vérifiant les dernières mises à jour effectuées par les sites web gouvernementaux.
L’employeur doit également communiquer à la délégation du personnel et au délégué à la sécurité et à la santé quels sont les risques pour la sécurité et la santé ainsi que les mesures de protection à prendre, et, si nécessaire, le matériel de protection à utiliser.
2. Envisager le report des déplacements professionnels des salariés à une période ultérieure
Les déplacements professionnels peuvent être maintenus, pour autant que l’employeur respecte les recommandations des autorités nationales compétentes.
Toutefois, si l’employeur venait à imposer à son salarié de se rendre dans une zone à risque, telle que définie par l’OMS, il pourrait être considéré comme ne remplissant pas son obligation légale de santé et de sécurité, ce qui pourrait le cas échéant engager sa responsabilité.
De plus, il n’est pas exclu que le salarié exerce son droit de retrait, s’il est dans un cas de danger grave, immédiat et qui ne peut être évité. Il conviendra cependant de vérifier si la situation répond effectivement à ces critères. A cet égard, se rendre dans une zone à risque pourrait le cas échéant constituer un danger « grave », dans la mesure où le virus peut être mortel pour les personnes qui ont déjà des soucis de santé. Il faudrait cependant que le salarié se prévale de ces soucis de santé, l’employeur n’étant pas au courant de ces derniers. Le danger lui-même n’est pas vraiment « immédiat », même si le risque de contracter le maladie pourrait être considéré comme immédiat. Enfin, si les personnes concernées revêtent un équipement adéquat et suivent les instructions en terme de protection, cela pourrait en principe « éviter » le danger.
3. Eviter les rassemblements, notamment d’un nombre important de personnes
Dans la mesure où le rassemblement d’un certain nombre de personnes peut favoriser un risque de propagation du virus, il pourrait être opportun d’éviter ou de reporter ce genre d’événements, tels que des réunions ou encore des conférences.
A cet égard, il serait utile de recourir plutôt à la téléconférence, ou à tout autre moyen de communication à distance, afin que chacun puisse y participer tout en limitant ainsi le risque de contamination.
4. Demander aux salariés de reporter par exemple au service des ressources humaines tout voyage récemment effectué à titre privé dans une zone à risque
Quand bien même le salarié n’est habituellement pas tenu d’informer l’employeur quant à ses déplacements à titre privé, il n’en demeure pas moins qu’eu égard au contexte actuel et afin d’éviter tout risque de propagation du virus, il pourrait lui être demandé, en vertu de son obligation de loyauté, d’informer l’employeur de déplacements privés dans des zones à risque, afin que ce dernier puisse le cas échéant prendre les mesures qui s’imposent.
5. Imposer une « mise en quarantaine » à titre préventif
L’employeur peut d’imposer une mise en quarantaine à un salarié.
Toutefois, selon le gouvernement luxembourgeois, une telle mise en quarantaine non certifiée ne saurait s’imputer sur le congé légal.
Ainsi, l’employeur qui déciderait de libérer le salarié devrait en assumer le coût (par exemple, accorder une dispense de travail ou bien un congé additionnel au salarié concerné).
A l’inverse, quid du salarié qui s’impose unilatéralement une « mise en quarantaine » en refusant de venir travailler, par le biais de l’exercice de son droit de retrait ?
L’article L. 312-4 (4) du Code du travail prévoit qu’ « un salarié qui, en cas de danger grave, immédiat et qui ne peut être évité, s’éloigne de son poste de travail ou d’une zone dangereuse, ne peut en subir aucun préjudice. La résiliation d’un contrat de travail effectué par un employeur en violation des dispositions du présent paragraphe est abusive ».
Toutefois, un salarié refusant de venir travailler par simple crainte du Coronavirus agirait de manière abusive.
Cependant, dès lors qu’un salarié a connaissance d’un risque de propagation du Coronavirus dans l’entreprise, du fait que certains de ses collègues ont été contaminés, se pose la question de savoir si l’exercice d’un tel droit de retrait est légitime. Il conviendrait dès lors de vérifier si la situation répond à la définition (à savoir un danger grave, immédiat et qui ne peut être évité, cf. point 2.).
Par ailleurs, quid lorsque la mise en quarantaine est imposée par l’inspection sanitaire, par le biais d’un certificat de « mise en quarantaine » ?
Selon les indications du gouvernement luxembourgeois, le certificat de mise en quarantaine équivaut à un certificat d’incapacité de travail, lequel est pris en charge par la Caisse Nationale de Santé, comme une période d’incapacité de travail au sens classique du terme.
Le salarié serait dans ce cas protégé contre un licenciement, sous réserve qu’il remplit ses obligations légales (information à l’employeur le premier jour d’absence, remise du certificat de mise en quarantaine au plus tard le 3e jour suivant l’absence, ledit certificat devant attester de son incapacité de travail et de sa durée prévisible).
6. Prise en charge du salarié revenant d’un voyage pour des raisons privées en provenance d’une zone à risque, alors qu’il avait été préalablement mis en garde par son employeur afin d’éviter de tels voyages
Afin d’éviter (i) une mise en quarantaine forcée avec suspension du salaire durant la période de mise en quarantaine qui pourrait sembler être une mesure disproportionnée d’une part, et que (ii) l’employeur assume les conséquences de son salarié négligent d’autre part, il serait recommandé d’inviter le salarié à rester chez lui, et à contacter l’inspection sanitaire sans délai, afin qu’elle puisse déterminer si une mise en quarantaine s’impose ou non.
Si un risque de contamination est avéré, le salarié se verra délivrer un certificat de mise en quarantaine pris en charge par la Caisse Nationale de Santé, tout comme une période d’absence pour incapacité de travail classique.
Dans le cas contraire, le salarié devrait pouvoir retourner travailler.
7. Imposer le télétravail à titre préventif
Si la nature du travail le permet, selon le gouvernement luxembourgeois, il serait possible d’imposer le télétravail à un salarié à titre préventif, au regard de l’obligation légale de santé et de sécurité qui s’impose à l’employeur. S’agissant de télétravail occasionnel, le salarié ne devrait en principe pas pouvoir s’y opposer.
En toute hypothèse, le recours au télétravail peut bien évidemment se faire de commun accord des parties, de préférence à formaliser par écrit.
En outre, le salarié pourrait demander à son employeur s’il peut télétravailler. Toutefois, l’employeur n’est pas obligé de faire droit à sa demande. Néanmoins, dans l’hypothèse où le salarié formule une telle demande afin de veiller sur son enfant mineur ayant contracté possiblement le Coronavirus, il serait dans l’intérêt de l’employeur de faire droit à une telle demande, afin de limiter le risque de propagation du virus. Le salarié pourrait d’ailleurs prendre un congé pour raisons familiales si les conditions sont remplies.
Il convient de souligner que la mise en œuvre du télétravail à l’égard des salariés frontaliers aura un effet tout d’abord sur l’affiliation à la sécurité sociale, l’employeur devant dès lors s’assurer que le salarié ne travaille pas plus de 25% dans son pays de résidence au cours des 12 derniers mois. Une telle mise en œuvre aura également un effet sur l’impôt sur le revenu, puisque le salarié frontalier, dépassant le seuil de tolérance fixé par les différentes conventions fiscales conclues avec le Luxembourg (29 jours par an pour la France, 24 jours par an pour la Belgique et moins de 20 jours pour l’Allemagne) au cours d’une année considérée, se verrait imposé dans son pays de résidence pour l’intégralité des jours d’activité prestés en dehors du Luxembourg (sauf éventuellement extension exceptionnelle de ces seuils par les Etats en question).
8. Mise en œuvre d’un système de flexibilité au travail
Dans la mesure où la nature de l’activité le permet, il serait opportun d’envisager un tel système, tel un règlement d’horaires mobiles.
Ce dernier, consistant en un aménagement individuel par les salariés de leurs horaires et durée de travail journaliers, permettrait notamment d’éviter de prendre les transports en commun aux heures d’affluence.
9. Rapatriement d’un salarié en détachement dans une zone à risque
En vertu de son obligation de santé et de sécurité, et dans la mesure où la relation contractuelle d’origine est maintenue, l’employeur pourrait le cas échéant devoir organiser le rapatriement de son salarié.
Tel ne serait pas le cas s’agissant d’un salarié expatrié, lequel est sous la subordination de l’employeur local et non de son employeur d’origine, avec qui le contrat de travail est rompu ou suspendu.
10. Recours au chômage accidentel ou technique involontaire, si l’activité venait à être partiellement voire totalement interrompue du fait de la propagation du Coronavirus
Le gouvernement a évoqué cette mesure, cette dernière consistant en la demande de subventions auprès du Ministère de l’emploi, afin de permettre aux entreprises de faire face à une interruption partielle ou totale de leur activité, causée par la propagation du Coronavirus.
De manière plus globale, au vu du coût qu’implique la gestion de ce virus pour les entreprises, couplé à un ralentissement attendu de l’économie, les entreprises pourraient être contraintes de réclamer des aides particulières.
Me Ariane Claverie, Avocat à la Cour, Partner et Me Thérèse Lallart, Avocat, Junior Associate, au sein de l’Etude CASTEGNARO-Ius Laboris Luxembourg
1 https://msan.gouvernement.lu/fr/dossiers/2020/corona-virus.html