En raison du contexte actuel incertain quant à l’évolution de la crise sanitaire et les secousses économiques qui en découlent, il est important de suivre l’actualité du droit international en matière d’insolvabilité.
En effet, la Cour de cassation a eu l’occasion d’affirmer nettement sa position quant à l’application des règlements européens en la matière et notamment les effets que l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité à l’étranger peut avoir pour une voie d’exécution intentée au Luxembourg.
Par son arrêt n°156/2020 du 19 novembre 2020, numéro CAS-2019-00159 du registre, la Cour de cassation vient de casser un jugement rendu en date du 9 juillet 2019 rendu par le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, troisième chambre, siégeant en matière civile et en instance d’appel.
Cet arrêt est une illustration des effets que peut avoir le règlement (CE) N° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité aujourd’hui abrogé par le règlement (UE) 2015/848 du Parlement et du Conseil du 20 mai 2015 relatif aux procédures d'insolvabilité, mais dont le libellé de l’article 16 correspond à l’article 19 du nouveau texte. La nouvelle mouture est applicable à partir du 26 juin 2017.
Les articles 16, respectivement 19 ont la teneur suivante :
« 1. Toute décision ouvrant une procédure d'insolvabilité rendue par une juridiction d'un État membre compétente en vertu de l'article 3 est reconnue dans tous les autres États membres dès qu'elle produit ses effets dans l'État d'ouverture.
La règle énoncée au premier alinéa s'applique également lorsqu'un débiteur, du fait de sa qualité, n'est pas susceptible de faire l'objet d'une procédure d'insolvabilité dans d'autres États membres.
2. La reconnaissance de la procédure visée à l'article 3, paragraphe 1, ne fait pas obstacle à l'ouverture de la procédure visée à l'article 3, paragraphe 2, par une juridiction d'un autre État membre. Dans ce cas, cette dernière procédure est une procédure d'insolvabilité secondaire au sens du chapitre III. »
En l’espèce, le juge de paix d’Esch-sur-Alzette avait, par ordonnance du 14 octobre 2016, autorisé B) et C) à pratiquer saisie-arrêt sur les revenus protégés de A) entre les mains de la TRESORERIE DE l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG pour avoir paiement d’un certain montant.
Par jugement du 15 février 2017, le juge de paix d’Esch-sur-Alzette avait annulé la saisie-arrêt et en avait ordonné la mainlevée au motif qu’en vertu de l’article 16 du règlement (CE) N° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité - applicable ratione temporis-, la procédure de règlement collectif des dettes, ouverte en Belgique à l’égard de A), était reconnue au Grand-Duché de Luxembourg et y produisait tous ses effets, que partant toutes les voies d’exécution étaient suspendues et que plus aucune saisie-arrêt ou cession ne pouvait être pratiquée.
Le tribunal d’arrondissement de Luxembourg a, par réformation du jugement entrepris, validé la saisie-arrêt au motif que la procédure de règlement collectif des dettes avait, en application de l’article 1675 du Code judiciaire belge, pris fin au plus tard le 14 avril 2018.
Le problème juridique a donc trait à la question de savoir à quel moment il y a lieu de se placer pour apprécier la régularité de la saisie-arrêt au regard du principe de suspension des poursuites.
Si le juge de paix d’Esch-sur-Alzette a fait une exacte application du texte et notamment du principe de suspension des poursuites qui est la pierre angulaire de toute procédure d’insolvabilité, le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, avait une différente vision des choses en estimant que la saisie-arrêt pouvait être validée étant donné que la procédure d’insolvabilité avait entretemps pris fin.
Au vu des objectifs d’une procédure d’insolvabilité qui vise à un règlement collectif de dettes, le principe de suspension des poursuites individuelles est un mal nécessaire pour assurer la cohérence du système et doit donc être appliqué de manière stricte.
Le libellé de la disposition du règlement étant très clair, l’arrêt de cassation n’est pas vraiment étonnant mais le lecteur critique se pose la question ce qui a bien pu mener le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg à se livrer une interprétation quelque peu extravagante qui favorise le créancier.
Cette interprétation divergente est d’autant plus remarquable que l’avocat général avait partagé l’analyse du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg en venant à la condition que c’était à bon droit que la saisie-arrêt avait été validée car la procédure d’insolvabilité belge avait cessé ses effets au moment où les juges avaient statué.
En matière de saisie-arrêt, il n’est pas rare de voir des interprétations divergentes entre la jurisprudence des justices de Paix d’Esch-sur-Alzette et celle du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg.
Or, dans le domaine des procédures internationales d’insolvabilité, la divergence ne va certainement pas persister car la Cour de cassation indique sans ambiguïté qu’il y a lieu de se placer au jour de la voie d’exécution pour apprécier la régularité de la saisie-arrêt au regard du principe de suspension des poursuites.
Maître Max MULLER
HEAD OF LITIGATION
KAUFHOLD&REVEILLAUD
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